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[CRITIQUE] Bob Marley: One Love – No trouvailles No Cry

Alors que l’industrie du film de super-héros semble glisser inexorablement vers un déclin inéluctable, comme le prophétisait Thanos, Hollywood semble avoir découvert une nouvelle mine d’or avec les biopics musicaux. Depuis le succès retentissant de Bohemian Rhapsody, ce genre occupe une place de plus en plus importante dans nos cinémas. Si des œuvres telles que Rocketman se démarquent en offrant des récits authentiques et audacieux (comédie musicale co-écrite et produite par Elton John lui-même, qui n’hésite pas à explorer les facettes moins reluisantes de sa vie, offrant ainsi aux spectateurs une réflexion pertinente sur son héritage), d’autres semblent se contenter de suivre une formule préétablie, voire biaisée, souvent façonnée par les proches des artistes présents au générique en tant que producteurs.

Quelques recherches rapides sur Wikipedia, quelques clics sur des archives vidéo à calquer avec la nouvelle fonctionnalité OpenAI : Sora, un acteur qu’on va grimer pour la ressemblance, et un disque de l’artiste acheté sur Fnac pour la bande originale : voilà la recette toute faite pour réaliser un biopic sur une icône de la musique. À l’heure où ces lignes sont écrites, Back To Black (biopic sur Amy Winehouse) réalisé par la cinéaste responsable de Cinquante Nuances de Grey, est censé sortir dans deux mois, tandis que Monsieur Aznavour, réalisé par Grand Corps Malade, devrait voir le jour d’ici la fin de l’année. Et que fout Antoine avec Michael Jackson, un biopic actuellement en tournage avec Jaafar Jackson dans le rôle de son oncle ? Comme le soulignerait un célèbre vidéaste français : « ça commence à faire beaucoup, non ?« 

Bob Marley: One Love commence de manière singulière : Ziggy Marley, fils de notre artiste du jour et l’un des producteurs du film, apparaît à l’écran pour informer les spectateurs que ce qu’ils s’apprêtent à voir est une représentation « authentique » de Bob Marley. Ce que nous découvrons au cours des 105 minutes suivantes, c’est que « authentique » signifie « lissé ». L’implication de la famille Marley laisse peu de doutes quant au fait que le film est davantage intéressé par l’embellissement de la réputation de Marley que par la présentation d’un récit honnête et complet. Ajoutez à cela la participation du réalisateur Reinaldo Marcus Green et du scénariste Zach Baylin, qui ont précédemment réalisé La Méthode Williams, un biopic hagiographique de Richard Williams, et il y a peu d’espoir d’obtenir autre chose qu’un récit conventionnel et excessivement respectueux de l’histoire.

Bob Marley: One Love couvre principalement les années 1976 à 1978, agrémentées de flashbacks sur des périodes antérieures de la vie de Marley. Le résultat est un collage frustrant d’incomplétude, où une série d’événements survenus durant ces deux années semblent déconnectés les uns des autres. Après avoir introduit certains des principaux protagonistes, dont Marley lui-même (interprété par Kingsley Ben-Adir), sa dévouée épouse Rita (Lashana Lynch), son manager Don Taylor (Anthony Welsh) et Chris Blackwell (James Norton), président d’Island Records, le film entreprend un parcours peu inspiré à travers la chronologie du rastafari. Après avoir dépeint l’invasion de son domicile et la tentative d’assassinat deux jours avant le concert gratuit « Smile Jamaica« , ce gloubi-boulga d’informations suit Marley en Angleterre où il enregistre l’album Exodus. Le film se clôt sur sa décision de retourner en Jamaïque pour jouer au « One Love Peace Concert » – rassurez-vous, le générique apparaît après deux notes, car ce biopic a au moins la décence de ne pas nous infliger trente minutes de concert.

Durant près de deux heures, le film s’écoule laborieusement, n’offrant guère plus que des échanges convenus, aisément dénichables dans une brève consultation de Wikipédia. Il effleure les sujets sans jamais les approfondir. Prenez, par exemple, le mouvement Rastafari, une influence majeure dans la vie et l’œuvre de Marley, qu’il aborde de façon superficielle. Le concept de « I and I  » est présenté lors d’un échange fade avec son épouse Rita, évoquant simplement un mouvement prônant la paix, la solidarité et l’équité entre les hommes, sans jamais s’attarder sur ses origines ou les raisons pour lesquelles Marley lui voue une lutte acharnée depuis des années. Des questions fondamentales et d’actualité, négligées alors que le film écarte sans ménagement toute la période pré-1976 de l’artiste – une époque assurément plus ardue à appréhender que celle que tout un chacun connaît.

Il est délicat d’affirmer que ce biopic est meilleur ou pire que d’autres dramatisations cinématographiques récentes de la vie des musiciens, mais il contient moins de scènes de concert que la plupart, préférant se concentrer sur des événements de la vie de Marley qui ne sont pas directement liés à ses performances musicales. Il trouve toutefois un regain d’énergie lors de rares reconstitutions sur scène ; ces moments permettent à l’interprétation de Ben-Adir de briller, en particulier grâce au lip sync, qui offre un répit bienvenu par rapport à son jeu parfois caricatural d’un homme sous l’emprise de la marijuana. On pourrait soutenir que Bob Marley: One Love aurait pu bénéficier d’une approche similaire à celle de réalisateurs tels que Baz Luhrmann pour Elvis ou Oliver Stone pour The Doors. Cependant, ce n’est pas le chemin choisi par Reinaldo Marcus Green, laissant ainsi les spectateurs face à un film qui manque cruellement de développement de personnages, d’analyse et de drame captivant. Il est ironique que Bob Marley: One Love aborde tout, sauf la véritable essence de Bob Marley.

Bob Marley: One Love de Reinaldo Marcus Green, 1h47, avec Kingsley Ben-Adir, Lashana Lynch, James Norton – Au cinéma le 14 février 2024