Blue Giant conçu par Yuzuru Tachikawa, se distingue comme un anime s’inspirant du manga de Shinichi Ishizuka, déployant une fresque d’animation japonaise et un hommage vibrant à la musique et à ses sonorités audacieuses.
Pour esquisser cette production, une analogie s’impose : le jazz (ou plutôt “Jass”, pour emprunter le terme espiègle du trio protagoniste) déjouant toute évidence. On pourrait aisément évoquer Le Terminal de 2004, où le personnage de Tom Hanks, Viktor Navorski, conserve précieusement des articles sur Benny Golson et autres dans une boîte à cacahuètes. Tel est l’esprit qui anime Blue Giant : une passion débordante pour la grandeur d’un genre malheureusement en déclin, encapsulée et magnifiée à l’écran, avec une ingéniosité captivante, substituant la boîte à Planters par un écrin cinématographique.
Loin de se cantonner à une narration linéaire, le récit se présente ainsi au départ. Il nous plonge dans l’univers en apparence centré sur un unique protagoniste, Dai Miyamoto (Yuki Yamada). Mais au fil du récit, c’est comme une incursion dans l’art de la composition jazzistique, où chaque instrument, et en l’occurrence, chaque personnage, prend tour à tour la parole pour dérouler l’épopée du Jass. Initialement, l’histoire s’attarde exclusivement sur le parcours de Dai, un adolescent aspirant à devenir le plus éminent musicien de jazz au monde. Un défi herculéen, surtout pour un lycéen basketteur de Sendai, dépourvu de formation musicale formelle.
La ténacité de Dai ne déroge pas aux codes des films sportifs : l’ascension vers la grandeur, déjà maintes fois traitée, avec ses attentes que ce film étoffe. Blue Giant offre assurément sa part de montages d’entraînement, avec parfois des scènes d’une beauté poignante au bord des rivières, sous des cieux impitoyables, tandis que Dai se perfectionne. The First Slam Dunk, amorcé par l’histoire du meneur de jeu lycéen en basket, Ryota Miyagi, illustre admirablement comment le point de vue narratif se métamorphose.
Tout comme dans le jazz, le récit s’imbrique et nous transporte entre passé et futur. Une rencontre fortuite dans les toilettes d’un club nous dévoile un autre personnage central : le pianiste “technique”, Yukinori Sawabe (Shōtarō Mamiya). De même âge que Dai, Yukinori dégage une assurance et une arrogance palpables. Cependant, cette confiance sera ébranlée au fil de l’avancée, menant Yukinori sur le chemin de l’humilité et de la maturation. Progressivement, un troisième membre intègre leur cercle restreint : Shunji Tamada (Amane Okayama), batteur totalement néophyte et colocataire de Dai.
Alors que “Jass” touche à sa fin, nous nous éloignons de Dai et de la trame temporelle conventionnelle. Blue Giant se détache peu à peu de l’histoire centrée sur Dai et se mue en une incarnation animée et non linéaire du jazz lui-même. Il déborde d’âme, paraissant presque improvisé, mais bien entendu, ce n’est qu’une illusion – les films sont telles des symphonies classiques structurées, où chaque élément, du scénario à l’animation en passant par l’interprétation, joue un rôle crucial. À certains égards, le récit bascule vers le drame et la tension entre les membres du groupe. Tout comme d’autres œuvres explorant les sacrifices nécessaires pour atteindre l’excellence, ce récit n’est pas exempt de moments empreints de tristesse. Une touche de tragédie est présente, mais elle n’atteint pas les sombres abysses des légendaires frères Von Erich dans The Iron Claw. Les notes de musique prennent vie et les plans serrés sur les mains présagent les événements à venir.
L’animation s’avère principalement impressionnante. La transition entre l’animation 3D et le dessin à la main se manifeste surtout lors des séquences de concert jazz, d’une technicité époustouflante. Une juxtaposition parfois déconcertante, néanmoins ponctuée de moments d’une beauté saisissante. Les instruments sont dessinés et éclairés avec une quasi-vénération, évoquant les natures mortes exposées dans les musées. Les pianos, saxophones et batteries se détachent avec une grâce exquise.
Malgré son origine d’un manga au succès retentissant, avec des millions d’exemplaires vendus et divers dérivés, Blue Giant ne requiert pas une préalable immersion dans le matériel source pour être apprécié à sa juste valeur. Il se suffit à lui-même. C’est le témoignage de l’écriture habile de NUMBER 8 et de Shinichi Ishizuka, conjugué à la direction éclairée de Tachikawa, et le spectateur ne se sent jamais dépourvu d’informations cruciales pour appréhender pleinement ce qui se joue à l’écran. Les personnages et leurs desseins apparaissent clairement, sans nécessiter la démarche labyrinthique propre à À la croisée des mondes : La Boussole d’or, où la lecture préalable de l’œuvre de Phillip Pullman (ou à défaut des résumés) semble indispensable pour décoder les méandres du récit.
Il s’agit, sans conteste, d’un film dédié au jazz. La partition de Hiromi Uehara occupe le devant de la scène, reléguant à juste titre au second plan les récits humains de Yukinori, Tamada, voire même de Dai. La musique, initialement simple et toujours envoûtante, évolue rapidement pour refléter l’essor des compétences des protagonistes à l’écran. Tandis qu’ils s’exercent et maîtrisent progressivement leurs instruments, le jazz d’Uehara se métamorphose également. Une courbe mélodique splendide s’étire tout au long. Même les plus réfractaires au jazz ne sauraient quitter la salle sans une certaine appréciation pour ce genre musical. Gloire au saxophone !
Blue Giant de Yuzuru Tachikawa, 2h00, avec Yûki Yamada, Shôtarô Mamiya, Amane Okayama – Au cinéma le 6 mars 2024