[CRITIQUE] Archive – le plaisir de la SF

Avez-vous déjà intimé à une création mécanique ou à un logiciel de se “calmer”, de se “détendre” ? Dans Archive, George Almore adresse ces mots à un robot, constatant qu’elle, oui, “elle”, peut choisir de le faire. George est immergé depuis plusieurs mois, voire années, dans un programme de recherche exigeant, où il doit finalement donner vie à un prototype d’Intelligence Artificielle viable. Au cours de cette période, il a également versé des larmes pour son épouse, “morte mais toujours présente”, dont il parle au téléphone aussi longtemps que la communication le permet. C’est là que réside la pertinence du titre Archive : le répertoire des souvenirs d’un être cher. Et, comme vous l’aurez deviné, George mène en parallèle un programme clandestin visant à réunir deux technologies distinctes.

L’un de mes films favoris de ces dernières années fut Upgrade, une autre œuvre de science-fiction mettant en scène un mari en deuil à la suite d’un accident de voiture, élément central de la trame narrative. Le long-métrage nous plonge dans un univers similaire, mais là où Upgrade privilégiait l’action et l’esthétique visuelle, il explore une facette de la science-fiction à la fois méditative et mélancolique. Lorsque j’associe un film à un genre, je suis toujours conscient des attentes que cela suscite, mais je ne peux prédire celles de chaque lecteur ou spectateur. Si vous êtes amateur de films tels que Solaris, Metropolis, Moon ou Ex Machina, vous trouverez en Archive une œuvre familière. Gavin Rothery a réalisé quelque chose qui, bien que non révolutionnaire, a été élaboré avec soin et style, combinant habilement divers éléments. Bien que ce soit son premier long-métrage en tant que scénariste-réalisateur, celui-ci ne porte en rien la marque d’une première œuvre. Partant d’un simple incident de la vie quotidienne, enrichi par son expérience de la conception de production pour Moon et d’autres titres, ainsi que par son amour de longue date pour le genre, Rothery livre un résultat captivant et stimulant.

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George Almore, interprété avec sérieux et passion par Theo James (Divergente), investit toute son énergie dans la création d’une “Intelligence Artificielle multi-niveaux, l’équivalent humain, le Graal sacré” – et uniquement la sienne. Il œuvre en solitaire, isolé au cœur de nulle part, n’ayant pour compagnons que les robots qu’il construit lui-même. Il n’est donc pas étonnant qu’il les considère comme des membres de sa famille. À mesure que chaque prototype succède au précédent, ils évoluent tant intellectuellement qu’androïdement. Chacun développe sa propre personnalité authentique, clairement définie et équilibrée. J01 apparaît tel un enfant enjoué, vagabondant innocemment, tandis que J02 oscille entre prévenance, caprice et mélancolie, comme un adolescent émotif. Quant à J03, il représente le prototype “final”. La seule pièce manquante dans cette famille est bien sûr Jules (interprétée par Stacy Martin de Nymphomaniac), l’épouse de George. Au-delà des aperçus de sa personnalité dans les souvenirs de George avant l’accident de voiture, et de sa personnalité actuelle traumatisée conservée dans les “archives”, nous en savons peu sur elle. Pourtant, sa présence se fait constamment ressentir, dans l’angoisse de J02 et le deuil de George, incarnée par la même actrice dans le rôle de J03, également traumatisée, dont le premier son entendu est un cri.

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L’écriture de ces personnages, de leurs relations et de leurs émotions est fascinante. Je me demande si George les appréhende davantage à mesure qu’ils se rapprochent de l’humanité dans leur apparence, ou si sa détermination reste un obstacle. (Cependant, la plupart des interactions émotionnelles des robots surviennent lorsque personne n’observe, comme une cascade ou un doigt tapotant sur un disque). La nature de leurs relations codépendantes est-elle le produit de la solitude, de la vie et du travail au cœur de la forêt, loin de toute civilisation ? Les décors incarnent cet isolement : à l’intérieur, l’environnement est teinté de futurisme et de vide, tandis qu’à l’extérieur, le site de recherche de George semble minuscule face à l’immensité de la nature (une réminiscence d’Ex Machina). À quarante minutes de la fin, survient un montage musical et visuel, une présentation d’une minute sur la relation entre l’homme et la machine, reflétant la convergence des deux dans l’évolution de J03. Des images de processus industriels, un corps de robot soumis au feu, des schémas techniques et des procédés… Le tout harmonisé par la musique de Steven Price, initialement ambiante, puis dramatique. Lorsque j’ai revu Archive pour écrire cette critique, j’ai été interrompu par cette séquence. J’ai dû mettre le film en pause, incapable de continuer à écrire tout en le visionnant ; il captivait entièrement mon attention. Une fois la séquence achevée, j’ai repris ma rédaction, la musique s’estompa et J03 apparut plus humaine que jamais. Voilà le seul défaut que je puisse trouver au film : J03 ne semble jamais véritablement être un robot, mais plutôt une femme déguisée en tel. Je ne saurais dire comment cela aurait pu être différent, mais le drame psychologique prédomine sur l’aspect science-fiction, bien que cela ait légèrement ébranlé ma suspension d’incrédulité.

Mais peu importe : croire en ce que je voyais dans Archive n’était pas nécessaire ; le ressentir, en revanche, l’était. Sa conclusion était si puissante que, après avoir visionné le film pour la première fois, j’ai dû en regarder un autre pour changer d’air et apaiser mes pensées avant de m’endormir. Et cette puissance ne s’est pas estompée lors du deuxième visionnage, bien au contraire.

Archive de Gavin Rothery, 1h49, avec Theo James, Stacy Martin, Rhona Mitra – En VOD le 3 février 2021

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