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[ANALYSE] Damien Chazelle – Regards passés

Damien Chazelle est un cinéaste américain, le plus jeune à avoir obtenu l’oscar de la meilleure réalisation, que vous connaissez probablement pour Whiplash, La La Land et dernièrement Babylon. Tout un cinéma que la critique décortique à chaque sortie sous le prisme de la musique, omniprésente dans les thématiques abordées, et sous le prisme de son rapport en tant que jeune réalisateur à l’industrie américaine. Pourtant, il semble qu’une des clefs de lecture de ses films réside dans le regard nostalgique qu’il porte à une époque révolue, l’âge d’or d’Hollywood, et sa manière d’essayer de rejouer ces temps passés, en vain. L’itinéraire d’un voyage temporel qui se termine mélancoliquement.

Le premier long-métrage de Chazelle, Guy & Madeline, raconte l’histoire d’un personnage masculin (le prénommé Guy), et sa relation amoureuse avec sa compagne (la prénommée Madeline). Guy est trompettiste de jazz, et son rapport à la musique fait partie intégrante du récit. L’anecdote connue qui explique l’importance du jazz dans la filmographie de Chazelle est simple : ce dernier est en collocation avec Justin Hurwitz, étudiant pour devenir compositeur de musique. Les deux s’associent et sont depuis devenu inséparables, Chazelle à la mise en scène et Hurwitz à la musique. Pourtant, ce rapport à un style de musique particulier, le jazz, est tout sauf anodin. Les deux arts, cinéma et jazz, ont en commun un « Âge d’or » situé des années 1920 jusqu’à la fin des années 1940. Ainsi les personnages principaux des films de Chazelle, souvent joueurs de jazz comme Guy de son premier long-métrage, Andrew de Whiplash ou encore Sébastian de La La Land, sont un reflet de lui-même. Ce sont des artistes dont le sujet principal est « dépassé » et ils tentent sans cesse d’atteindre à nouveau cette période faste, sans jamais pouvoir triompher.

© Ad Vitam

Cette volonté de rejouer l’histoire se retrouve dans les motivations même des protagonistes de son œuvre. Guy et Madeline finissent par rompre (assez rapidement d’ailleurs) et très vite Guy va tenter de rejouer son histoire avec l’être aimé, tout d’abord avec une autre prétendante puis avec Madeline elle-même. Cette obsession pour le passé débouche sans cesse sur un échec, preuve d’une clarté d’esprit de Chazelle sur son propre cinéma. Pourtant, les personnages et le cinéaste, s’acharnent à rejouer l’Histoire dans les films suivants. Dans Whiplash, film sur la relation entre un apprenti batteur de jazz et son professeur, les deux ont pour objectif d’atteindre le niveau de leurs idoles, appartenant au passé. Pour Andrew, c’est Buddy Rich, tandis que pour le professeur c’est Charlie Parker, les deux essayant donc de recréer le succès de ces maîtres du jazz. Le film se termine d’ailleurs sur une incertitude quant à la victoire ou non d’Andrew, qui semble avoir atteint un niveau très élevé, la suite de sa carrière restant dans l’incertitude. Une preuve que Chazelle ne tourne pas la page et continue de rêver d’un nouvel âge d’or pour le jazz, et donc le cinéma. Ce parallèle entre jazz et cinéma se retrouvent dans les relations entre protagonistes des films de Chazelle. Tous les personnages suivent un même objectif, mais en suivant des intrigues personnelles qui parfois viennent à s’entrecroiser ou s’entrechoquer. C’est de ce principe d’écriture, que l’on retrouve lorsque l’on joue du jazz, que viennent les affrontements verbaux (et physiques) de Whiplash, les disputes de La La Land et les morts de Babylon.

Dans sa seconde partie de carrière – après le succès colossal de Whiplash – Chazelle semble ne plus vouloir corriger le passé, mais plutôt en faire le deuil. L’un des moments les plus touchants de La La Land se déroule pendant une audition, un casting auquel Mia participe. Étant libre de ce qu’elle souhaite interpréter elle choisit alors de raconter, en chanson, le destin tragique de sa tante décédée. Une artiste dont elle souhaite suivre / rejouer le parcours, mais surtout une personne dont elle fait le deuil lors de cette séquence. La fin du film suit d’ailleurs cette voie puisque l’épilogue rejoue encore une fois l’histoire – ici celle du film – avant de se conclure sur la réalité : le deuil de la relation entre Mia et Sébastien. Rejouer le passé ne signifie plus admirer ici, mais plutôt corriger. C’est pour cette raison que Mia devient une actrice mondialement célèbre, et que Neil Armstrong – dans le long-métrage First Man – réussit à marcher sur la Lune. En faisant le deuil d’événements passés, ils réussissent tous les deux à s’accomplir. Les trajectoires des personnages de Chazelle répondent à son regard sur le passé. Son dernier long-métrage, Babylon, ne déroge pas à cette règle puisque le réalisateur s’attaque enfin à son sujet rêvé : l’âge d’or d’Hollywood.

© 2022 Paramount Pictures

Dans cette grande fresque sur le cinéma hollywoodien, on suit la trajectoire de différents personnages tentant d’atteindre le succès tant rêvé dans l’industrie du cinéma. Chazelle semble avoir fait son deuil de cette période éteinte, puisqu’il dissèque cette fois tous les aspects négatifs de ces années. L’amertume et la mélancolie des protagonistes, victimes de l’industrie cinématographique, concluent son œuvre. Lors de la séquence finale, il rejoue – une fois encore – l’histoire, cette fois-ci celle du septième art, mais cette relecture n’a plus la même signification pour le cinéaste. Son voyage temporel se conclut par une forme de mélancolie, et non plus d’admiration, comme une gueule de bois finale après la séquence festive d’ouverture. Une disparition, un suicide et une fuite terminent les années fastes d’Hollywood, signe que Chazelle observe maintenant ce passé avec un regard critique.

Par Enzo Durand.

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