Baltimore. Un dealer enfant est tué, le détective Jimmy McNulty (Dominic West) contemple son cadavre. La série Sur écoute (The Wire) commence tragiquement, présentant à tour de rôle les groupes en manque d’organisation, et d’avance sur les coups s’apprêtant à être joués. David Simon, en showrunner et à l’écriture de la série, s’inspire des documentaires sociaux de Frederick Wiseman comme de l’expérience policière d’Ed Burns et du romancier George P. Pelecanos pour livrer un récit de fiction prônant un souci de réalisme sur le monde criminel. Il s’agira de suivre à la fois la police criminelle, la brigade des stupéfiants, et le monde des dealers faisant l’objet d’une longue enquête demandant l’utilisation de l’écoute téléphonique, et de tracer les bips (pagers) à la disposition des délinquants. Le générique introductif de la série clarifie les intentions scénaristiques, consistant à rendre vivant ce monde de misère et de désordre sur lequel repose à la fois les institutions, les quartiers, et les personnes dans la ville.
Bien passée inaperçue auprès du public à sa sortie, la première saison de Sur écoute surprend par le surplus de personnages dans tous les milieux habitant Baltimore. Le spectateur omniscient est amené à contempler, tel McNulty dans la scène introductive, les rouages du « jeu » (terme souvent utilisé dans la série) sur les différents lieux. Préférant une approche progressive, David Simon introduit les difficultés quotidiennes des hommes et femmes en passant par tous les stades hiérarchiques entre la police et le milieu criminel. La mise en scène est très soignée, mais se rapproche davantage du documentaire dans la mesure où il s’agit avant tout de mettre en lumière les faiblesses et caractéristiques intellectuelles de tous. Ainsi, il ne faut pas être surpris de voir des scènes de réunion policières cadrées de la même manière que les discussions entre les jeunes dealers du quartier. Le changement de perspectives restant de main mise, il n’y a pas plus de temps consacré à un milieu d’opposition qu’à l’autre comme le suggérait le générique.
Dans un refus du spectaculaire, les épisodes sont agencés sur une structure similaire amenant à en savoir davantage sur chaque personnage et l’évolution des enjeux. Il n’y a pas de twists ou cliffhangers en tous genres, le tout reste sobre et réaliste au point de refuser l’utilisation persistante d’une bande originale pour la série. La musique dans Sur écoute est souvent intradiégétique, évoquant les personnages dans leur culture sociale. De McNulty à Omar (Michael K. Williams) en passant par le lieutenant Daniels (Lance Reddick), chaque personnage a ses failles et tente de se libérer d’une emprise. En ce sens, les dilemmes se cultivent à la fois pour les perspectives professionnelles et sentimentales, comme il en est le cas pour l’inspecteur Kima Greggs (Sonja Sohn) sujette à une blessure grave sur le terrain. Mais faut-il vraiment quitter sa voie et ses origines ? Cette thématique, répondant à la fois à l’emprisonnement professionnel des policiers et des dealers, est traitée de façon passionnante sur un rythme ciselé. Dans les discours chargés d’émotion, le jeune D’Angelo Barksdale (Larry Gillard Jr.) exprimera en une scène, son impossibilité à rompre avec son quotidien tant pour le respect de l’héritage familial qu’il porte en son nom que son statut, ne lui permettant pas d’évoluer au-delà de sa prison personnelle. Parce que les hommes et femmes ne sont pas heureux dans Sur écoute, ils sont parfois égoïstes ou à l’écoute de l’autre. Sans manichéisme, tous portent les valeurs humaines et ont le droit d’exister à l’écran.
La direction d’acteurs est exceptionnelle, et s’il faut saluer l’impression de véracité naissante des échanges retranscrits à l’écran, c’est bien la variété des péripéties qui rend cela authentique. À ce titre, la série peut se rapprocher du cinéma naturaliste de Maurice Pialat à la fois par les interactions très intimes de ses personnages, et la rare précision de l’utilisation des dialogues filmés permettant une grande proximité ne mettant jamais à distance celui qui les regarde. D’ailleurs, les acteurs consultaient régulièrement un dictionnaire sur le plateau de tournage afin de s’habituer au langage propre à Baltimore, que cela soit du côté des dealers comme des policiers.
La belle gestion du suspense, par le faux rythme, crée une impression de routine, déconcertante. Sans prévenir, les situations périlleuses et finalités dramatiques font mal tant les conséquences du jeu urbain sont imprévisibles malgré les tentatives de les prévenir par la police et les dealers. Chaque mot peut peser. La recherche de la paix est partie intégrante de l’atmosphère noire du format télévisé développée par les auteurs de cette première saison, convoquée régulièrement dans les conversations.
Il est bien difficile de changer ce qui nous définit dans la vie.
Avec la collaboration d’Axel Errero.
Sur Ecoute, 5 saisons, 60 épisodes, 59 min, avec Dominic West, Lance Reddick, Sonja Sohn – Sur HBO MAX