About Kim Sohee est le nouveau long-métrage de July Jung dans lequel la cinéaste s’intéresse à un fait divers ayant beaucoup ému la Corée du sud. Une jeune étudiante travaille, pour un de ses stages, dans un centre d’appel. Très vite, les conditions de travail la poussent à bout. Cette nouvelle œuvre est à la fois tendre et terrible. Un triste constat sur la société du travail coréenne, porté par deux excellentes actrices : Kim Si-eun et Bae Doo-na que vous avez déjà pu voir dans The Host ou Sense 8. Pour la sortie de ce grand film, la réalisatrice July Jung nous fait l’honneur de répondre à nos questions dans cette nouvelle critique/interview. Avec ce second long-métrage, la cinéaste crée une œuvre qui met en lumière un grand nombre d’inégalités coréennes. Ce cinéma social et engagé permet à la fois d’émouvoir le public, mais également de dénoncer et de questionner la société du travail. About Kim Sohee est une œuvre passionnante, car elle alterne les sujets avec une vivacité d’esprit intéressante : harcèlement, conditions de travail difficiles, sexisme et inégalités de classes. Les deux protagonistes du film, deux femmes devant faire face à deux hiérarchies les oppressant, offrent donc des points de vue intéressants qui complexifient le regard de l’œuvre sur son pays natal.
July Jung : C’est mon deuxième long-métrage, et je pense que jusqu’à maintenant mon univers au cinéma, c’est justement de se focaliser sur les problèmes sociaux. À propos des personnages féminins, j’ai choisi d’articuler mon histoire autour d’eux car le fait réel dont s’inspire mon film est arrivé à une jeune fille. En Corée du sud, comme dans d’autres pays, les femmes ont moins de pouvoirs, on peut presque les qualifier de marginales. C’est pour cette raison que mon deuxième personnage principal souhaite à tout prix découvrir ce qui est arrivé au premier, pour reprendre le pouvoir.
La création de cette œuvre est inspirée par un fait divers. Une jeune étudiante qui, durant un stage dans un centre d’appels, disparait après avoir été poussée à bout. Sa bonne humeur, ses danses, ses rires et ses espoirs d’une vie meilleure disparaissent, écrasés par la société capitaliste. Le drame se transforme en polar lorsqu’il s’agit de comprendre ce qui lui est arrivé. About Kim Sohee est un grand film, car il alterne les genres et les thèmes avec une facilité déconcertante, mais pas seulement. Si ce nouveau long-métrage est aussi réussi, c’est car il est révoltant. Ce film sud-coréen vient toucher des idées qui parcourent l’ensemble du globe. Il suffit de regarder les millions de personnes manifestant dans la rue, en France. Le monde du travail détruit les opprimés, tandis que les sociétés politique et policière (notamment dans le second acte du film), défendent un système meurtrier. La forme aide le fond : en étant en deux parties, le film insiste sur les conséquences et pas seulement sur les causes. Derrière les décisions politiques liées au monde du travail, il y a des morts, des familles détruites, des suicides, des disparitions et des mondes entiers s’écroulant.
July Jung : Oui, l’histoire part bien d’un fait réel. Une lycéenne est partie faire une formation professionnelle. Au bout de trois mois, elle s’est donné la mort à cause de son travail dans un Center Call. Avant d’écrire le scénario, j’ai consulté une enquête faite par des journalistes sur ce fait divers. Je n’ai donc pas fait d’enquête moi-même, mais le travail et les documents récoltés par les écrivains m’a permis de construire un scénario. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai décidé de faire ce film. En ayant tous les documents très facilement, j’ai pu remarquer qu’en Corée, ces disparitions et accidents continuent encore. Je me suis demandé alors comment, en tant que cinéaste, je pouvais stopper ce cercle vicieux. Mon souhait était de redonner vie à cette lycéenne.
Ce long-métrage part d’un fait réel, le drame entourant la disparition d’une lycéenne, pour se transformer en fiction, avec l’arrivée du polar. Grâce à cette transformation narrative, le récit peut aborder une histoire à la fois intime et globale, traitant du modèle compétitif coréen.
July Jung : Ce n’est pas totalement un film de genre. J’ai repris des éléments du genre policier pour que le spectateur s’accroche à des repères. Alors bien évidemment, ça reste tout de même une fiction. Je voulais bien sûr rester au plus près des conditions de travail réelles dans les centres d’appels, avec la pression de la hiérarchisation. J’ai tout de même rajouté les conflits entre les personnages, et le suspense entourant tout d’abord la disparition de la jeune lycéenne. Quant à la question de la compétition, c’est une problématique que l’on retrouve partout dans mon pays, notamment au cinéma. C’est plus difficile de commencer une carrière en tant que femme, et continuer à faire des films majeurs l’est tout autant.
About Kim Sohee se construit d’une manière assez originale : deux parties qui se répondent et se confrontent, chacune interprétée par une actrice différente. Cette structure est bien évidemment dévastatrice dans le contexte du film, que nous ne vous divulgâcherons pas, mais elle permet surtout au film de s’interroger sur le rapport qu’ont les individus entre eux. Dans une société qui s’individualise de plus en plus, jusqu’à des conséquences terribles, comment des personnages peuvent encore s’entraider ? Cette simple idée apporte beaucoup de tendresse à un sujet terriblement d’actualité.
July Jung : Je suis consciente que c’est une structure qui n’est pas familière, mais pour traiter cette affaire-là, il fallait suivre en deux temps. Mon style d’écriture consiste à être sobre, sans fioritures, et je passe par une mise en scène brute, sèche, pour faire ressentir l’émotion de ces deux personnages. L’histoire est dure, et il fallait que cela se ressente dans l’image. Ce qui m’a le plus choqué pendant la préparation du film, c’est que les jeunes acceptent ce qui ne va pas sans manifester. Je trouve que par rapport à notre époque c’est triste, voire pessimiste.
La structure du film, en deux temps, est donc portée quasi intégralement par les deux actrices principales. Cette idée renforce l’impression de solitude dont souffrent les protagonistes, tout en laissant la place à de larges performances pour les actrices. Ainsi Kim Si-eun dépolit une palette de jeu allant de la lycéenne enthousiaste, jusqu’à la travailleuse essorée par un système malade. De son côté, Bae Doo-na, en retenue, joue à la fois une inspectrice expérimentée, mais aussi une femme enragée contre un capitalisme éreintant. Cet équilibre et la performance des deux actrices donnent du corps aux personnages, et renforcent l’indignation envers le système compétitif coréen.
July Jung : Pour Kim Si-eun, c’est une actrice qui n’est pas connue, mais justement, je voulais découvrir quelqu’un. J’ai proposé un casting de 5000 personnes à mon assistant, et à la place il m’a proposé quelqu’un avec qui il avait déjà travaillé. Dès que je l’ai vue, j’ai su, avec son attitude, que ce serait elle, car elle m’a dit « en fait je suis là car j’aimerais que ce film existe, qu’il y ait une trace de tout ça ». Alors sur un coup de tête, je me suis dit que ça devait être elle, mon personnage !
July Jung : En ce qui concerne Bae Doo-na, je pensais à elle dès l’écriture du scénario. Elle figure d’ailleurs dans mon premier long-métrage. Dans mon précédent film, elle joue aussi le rôle d’une inspectrice, et je voyais ce nouveau personnage comme le même, mais dix ans plus tard. Pourtant, elle ne porte pas le même prénom, donc on peut imaginer que ce sont deux rôles distincts. Quand je lui ai envoyé le script, elle m’a dit oui le jour même ! On ne s’était pas parlé depuis longtemps, et pourtant Bae Doo-na a compris avec une forte justesse le scénario et la direction que je voulais donner. J’aime beaucoup ce personnage, car je peux m’exprimer à travers elle. Je ressentais la même fureur quand j’ai découvert l’histoire réelle.
Ce personnage d’inspectrice, qui sert d’alter-égo pour la cinéaste July Jung, porte un jugement sur l’ensemble de la société, se reprochant à tour de rôle la faute. C’est donc un rôle ambigu qui cherche à comprendre la vérité objective, tout en portant un jugement subjectif sur les proches de la victime.
July Jung : Oui, sur les cadres de l’entreprise, les supérieurs de la police, ou la nouvelle manager. Sur ceux-là, l’inspectrice porte un jugement car ils sont responsables d’un drame. Cependant, pour les proches de la victime, elle a de la peine pour eux. Elle ne cherche pas à les juger mais plutôt à les consoler. Vers la fin du film il y a une scène avec les parents de la victime. Dans cette séquence, l’inspectrice dit aux parents « Vous savez qu’elle dansait ? ». C’est une phrase toute simple, mais qui rappelle aux parents la beauté de leur fille. Je trouve qu’il y a de la tendresse ici.
Pour conclure, nous aimerions vous inviter, une fois encore, à aller découvrir About Kim Sohee. Ce long-métrage fait partie de ceux que nous considérons comme des films essentiels. Par ce terme, nous désignons des œuvres qui semblent importantes pour l’évolution du monde. En liant la forme de son film et le fond thématique, About Kim Sohee montre que le cinéma reste une arme sociale et politique.
July Jung : Depuis cette affaire, il y a eu un grand débat en Corée sur les centres d’appels. Depuis ce fait divers, les employés sont plus protégés et les conditions ont été améliorées. Je ne sais pas encore l’impact qu’aura ce film, en Corée ou à l’international, mais j’espère qu’il continuera sur cette voie.
C’est quoi le cinéma de July Jung ? Une œuvre sociale qui utilise le septième pour changer le monde. Il y a beaucoup de tendresse dans de tels films. Sous leurs aspects terribles et morbides ils cachent une forme d’espoir, dans l’entraide. Foncez voir About Kim Sohee. Surtout en cette période incertaine ou l’on se sent révoltés et opprimés.
About Kim Sohee de July Jung, 2h18, avec Doona Bae, Kim Si-eun, Choi Hee-jin – Au cinéma le 5 avril 2023.