Cette année 2023 marque le grand retour de Michael Mann, immense cinéaste américain qui choisit de revenir dans les salles obscures avec un film biographique sur Enzo Ferrari (incarné par le superbe Adam Driver). Pour fêter ce nouveau long-métrage d’un réalisateur que nous affectionnons particulièrement nous avons choisi de consacrer une rétrospective à son œuvre pour enfin comprendre : c’est quoi le cinéma de Michael Mann ? Cette première chronique s’intéresse donc à son premier film, Le Solitaire ou Thief en version originale. Mais avant de parler de ce premier chef-d’œuvre rendez-vous quelques années plus tôt pour comprendre qui est ce jeune réalisateur débutant. Michael Mann grandit à Chicago où il s’intéresse principalement à la littérature anglaise, dans l’objectif de l’enseigner ensuite. Alors que son parcours d’études se passe dans de bonnes conditions il a une révélation, à l’âge de 21 ans, en découvrant Faust, une légende allemande de Murnau mais également Docteur Folamour de Kubrick. Sa décision est prise immédiatement : il veut faire du cinéma. Mais pas n’importe quel cinéma, Michael Mann souhaite avant tout faire de l’art et pas simplement du cinéma commercial ou des publicités pour la télévision. Très vite les expériences s’enchainent : London International Film School, quelques courts métrages mais surtout un emploi à la FOX qui va lui apprendre une leçon importante : au cinéma l’art et l’industrie s’entremêlent constamment. Et s’il veut faire l’un il devra également exceller dans l’autre.
Une fois sa formation terminée (si tant donnée qu’elle se termine un jour), le cinéaste en herbe va enchainer les courts métrages mais également les documentaires, dont un très marquant sur les manifestations parisiennes de mai 68. Mann fait donc tout d’abord ses armes à la télévision, avec notamment le téléfilm Comme un homme libre, sur lequel nous reviendrons tant celui-ci contient déjà en 1979 des obsessions du réalisateur. Puis en 1981 arrive la naissance de sa carrière en tant qu’auteur-réalisateur : Le Solitaire. Ce premier long-métrage raconte donc l’histoire de Franck (James Caan), l’un des cambrioleurs les plus doués de Chicago, qui doit accepter de travailler avec la pègre dans l’espoir d’une vie meilleure. Ce scénario en l’apparence simple, et critiqué comme peu original en 1981, regorge pourtant de nombreuses subtilités. En effet à sa sortie beaucoup reprochent à Thief de n’être qu’une banale histoire criminelle, comme on en peut en lire tous les jours dans la presse. Mais justement toute l’originalité de cette série de faits divers provient du fait qu’ils sont largement documentés pour les rendre bien plus réalistes et crédibles. Pour écrire son scénario Mann reprend quelques situations de The Home Invaders, biographie écrite par Frank Honimer, ex-cambrioleur. Mais le réalisateur va plus loin en interrogeant de nombreux criminels et policiers, dans l’objectif de créer non seulement un monde cohérent mais également de s’approcher de l’hyper-réalisme.
Le cadre réaliste du récit emmène donc dans la fiction les tares de notre monde. Ainsi les injustices sociales se retrouvent au cœur du film. Le protagoniste est issu d’un milieu prolétaire et son passé se reflète dans son talent, un art manuel, ainsi que dans les décors rappelant des environnements industriels ou désaffectés. La seconde partie du film amène justement Franck à combattre contre des forces criminelles qui perpétuent un système capitaliste. Ainsi au fil du long-métrage les décors changent et se modernisent. Les quartiers ouvriers laissent place aux centre-ville technologiques. Un changement qui reflète la position de Frank, tiraillé entre deux mondes. L’intrigue même du film et ses rebondissements reposent d’ailleurs sur des logiques économiques : assimilation d’activités, rupture de contrat ou encore logique agressive de ventes.
Dans ce cadre tangible Mann insère pourtant des éléments fictionnels qui vont être des récurrences dans son cinéma : ses personnages. Tout d’abord les personnages secondaires qui gravitent autour de Frank sont parfois incarnés par des ex-policiers ou des anciens prisonniers, mais dans ce film ils vont jouer l’inverse de leurs professions réelles : c’est qu’ainsi que Dennis Farina, un ancien membre des forces de l’ordre, joue ici un tueur de la mafia. Les frontières sont floues pour les proto-personnages manniens, qui évolueront au fil des longs-métrages, mais qui ici naviguent entre les mondes et les rôles. Ils sont sans cesse diviser entre ce qu’ils souhaitent faire (ici fonder une famille) et ce qu’ils doivent faire (un dernier casse ou céder à la vengeance). Cette dureté entre ce qui doit être fait et le plaisir personnel caractérise les personnages manniens qui sont condamnés à la souffrance ou à la solitude. Le titre français de Thief devient alors parfaitement logique pour cette chronique de la vie solitaire d’un cambrioleur.
Cette envie d’une existence indépendante va devenir la marque de fabrique pour le cinéma de Michael Mann, mais nous y reviendrons dans les prochains articles. Ce qui devient alors intéressant avec Le Solitaire c’est que l’ensemble des qualités du film deviennent des récurrences dans la suite de la carrière du cinéaste. A sa sortie en 1981, le long-métrage se fait, certes, attaquer sur son scénario mais il est félicité pour son esthétique et ses jeux de lumières inspirés par l’esthétique industrielle. De cette imagerie urbaine se dégage avant tout un amour de la nuit mais également d’inspirations picturales. Avec cette première œuvre le réalisateur impose immédiatement un style radical qui se démarque par un code couleur précis et significatif. Le vert, omniprésent dans Thief mais également dans le reste de sa filmographie, symbolise le négatif ou la mort. Cette couleur dangereuse se retrouve dans des néons, des vêtements mais également sur l’ensemble des billets de banque, symbole de plus de la corruption qu’exerce l’argent sur les personnages. Le bleu, inversement, représente donc des zones de sureté et d’apaisement, comme on peut l’observer dans certains environnements ou vêtements. On pense à des lieux mais aussi à des costumes comme le bleu de travail prolétaire rappelant la lutte des classes mais aussi l’activité manuel que réalise Franck. Un métier qui s’oppose donc aux grands criminels en cols blancs qu’il doit affronter, présent dans le monde de la finance et de l’économie. Un affrontement cols bleus / cols blancs qui ajoute de la sociologie à l’œuvre mannienne.
C’est quoi le cinéma de Michael Mann ? Avec ce premier long-métrage on comprend déjà que le cinéma de ce réalisateur est marqué par un style particulier composé à la fois d’éléments visuels et narratifs. L’omniprésence de l’économie mais aussi des jeux de pouvoirs entre différentes classes sociales est particulièrement intéressante, notamment car nous la retrouverons tout le long de sa carrière. Nous vous disons donc à bientôt pour le second chapitre de cette rétrospective. Rendez-vous dans La Forteresse Noire entre démons millénaires, nazis et secrets oubliés.
Le Solitaire de Michael Mann, 2h02, avec James Caan, Tuesday Weld, James Belushi – Sorti le 19 mai 1981 en salle
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