Isabelle Huppert, qui fait une rare apparition dans un film “inspiré d’une histoire vraie”, élève une étude de personnage axée sur les lanceurs d’alerte avec La syndicaliste, des retrouvailles avec Jean-Paul Salomé, le réalisateur de La Daronne. Il s’agit également d’une anomalie pour l’actrice, qui est très active, dans la mesure où elle incarne une personnalité résiliente mais fragile, un peu à contre-courant. Basé sur la publication de 2019 de la journaliste d’investigation Caroline Michel-Aguirre, la corruption, la violence et les intrigues politiques tourbillonnent malicieusement dans cette histoire de misogynie flagrante suite à l’agression sexuelle d’une femme dont la position lui permettait d’avoir accès au président, finalement forcée de se disculper contre les accusations portées contre elle d’avoir déposé une fausse plainte. Bien que décrit à tort comme un Erin Brockovich à la française, le cœur de l’affaire parle plus intimement de l’injustice exacerbée à laquelle a été confrontée une femme qui a été rabaissée et finalement éviscérée par les forces de l’ordre et le système de justice pénale.
En décembre 2012, Maureen Kearney (Huppert) a eu les yeux bandés et a été conduite dans son sous-sol, où le manche d’un couteau a été logé dans son vagin alors qu’elle était attachée à une chaise, la lettre “A” gravée sur son abdomen. Plusieurs mois auparavant, en tant que responsable syndicale et membre du conseil d’administration d’Areva, la multinationale nucléaire française, Maureen avait été secrètement contactée par un membre de l’agence nucléaire rivale, EDF. Après le remplacement du PDG d’Areva (Marina Foïs) par un candidat improbable, Luc Oursel (Yvan Attal), juste avant que la présidence de Sarkozy ne cède la place à celle de François Hollande, des manigances menées en coulisses ont suggéré que le nouveau PDG travaillait secrètement avec les Chinois dans le cadre d’un complot qui, selon Maureen, permettrait à EDF de réduire considérablement les effectifs d’Areva et de vider le marché de l’emploi pour les salariés français. Dans son combat pour dénoncer cette situation, son intervention a irrité les pouvoirs en place, ce qui a probablement entraîné une agression destinée à l’effrayer. Lorsque la police enquête sur le crime, le manque de preuves et le comportement de Maureen (elle n’était pas considérée comme une “bonne victime”), qui fait qu’elle est soupçonnée d’avoir falsifié le rapport, conduisent à l’accuser de falsification. Plaidant non coupable après de fortes pressions de la part de la police, elle se rétracte presque, et est jugée coupable, condamnée à une lourde amende et à la probation. Jusqu’à ce qu’elle décide de faire appel.
Huppert, sublime et effrayante, est vraiment fantastique dans le rôle d’une blonde sans état d’âme, plus tendue que son chignon enroulé. Elle atteint un niveau de vulnérabilité rarement vu dans sa vaste filmographie. Mais personne ne passe autant de la victimisation à la bravoure que Huppert, Maureen finissant par laver son nom et ayant la sinistre satisfaction de prédire la fermeture des centrales nucléaires françaises et la disparition d’une grande partie des emplois. Bien que ce ne soit pas au niveau de quelque chose comme Elle, la performance caractéristique de Huppert qui traite d’une femme qui retourne la situation contre son agresseur après un viol vicieux, le style procédural de Salomé permet aux complexités potentielles du récit d’être facilement compréhensibles. Au départ, il s’agit d’un drame politique mettant en scène des hiérarchies de pouvoir changeantes, Maureen dépendant du soutien de son ancienne patronne (Marina Foïs) et luttant contre un Yvan Attal inhabituellement incontrôlable dans le rôle de son remplaçant corrompu. Mais il est clair comme de l’eau de roche que les préjugés sexistes ont usurpé les accusations initiales contre Maureen (dont la vraie personne était en fait irlandaise), avec Pierre Deladonchamps jouant un flic vicieux peu commun (dans un rôle initialement attribué à Benoit Magimel, le partenaire d’Huppert dans La Pianiste). Grégory Gadebois est présent dans le rôle du mari de Huppert, qui la soutient, bien qu’il soit plutôt mal assorti à l’énergie de cette dernière.
Bien que le film soit plus intéressant (et plus terrifiant) lorsqu’il se penche sur la corruption politique obscure qui a entraîné l’hémorragie des centrales nucléaires en raison de la cupidité des entreprises, ainsi que sur les machinations de Sarkozy puis de François Hollande, Huppert élève ce qui aurait facilement pu être une procédure judiciaire banale sur les dangers et les petites victoires que l’on peut obtenir en disant la vérité au pouvoir.
La Syndicaliste de Jean-Paul Salomé, 2h01, avec Isabelle Huppert, Grégory Gadebois, François-Xavier Demaison – Au cinéma le 1 mars 2023.
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