Ceci est la deuxième partie de notre rétrospective sur S.S. Rajamouli, pour lire la première partie cliquez-ici.
Cependant, qualifier ses films de simples spectacles épiques ne rendrait pas service à leur profondeur thématique. La liberté stylistique de Rajamouli sert toujours un objectif, celui de communiquer de la manière la plus efficace possible les récits auto-mythologiques qu’il aime raconter. Dans un sens littéraire, les mythes sont des récits folkloriques concernant un héros ou un événement, généralement basés sur des croyances culturelles ou religieuses. Rajamouli applique cette définition de base à ses histoires et redéfinit la fabrication de mythes comme un processus consistant à créer des légendes à partir de ses sujets choisis de la manière la plus absurde et la plus illogique possible. Pour y parvenir, Rajamouli établit d’abord sa problématique – généralement sous la forme d’un antagoniste ou d’un flash-back tragique – puis complique cette prémisse en abordant les thèmes de la vengeance, de la romance et des désirs inassouvis. L’émotionnalité brute et primitive généralement associée à ces motifs permet aux spectateurs de Rajamouli de s’identifier à ses histoires et à ses personnages, et alimente les séquences intenses qui les rendent si passionnantes à regarder.
Le fatalisme du karma est un autre élément essentiel des récits de Rajamouli. Il n’hésite pas à peindre ses protagonistes et antagonistes dans une dichotomie en noir et blanc afin de les opposer les uns aux autres. Pour Rajamouli, il est important que le protagoniste se batte pour une cause indiscutablement bonne, les motivations définissent ses personnages autant que leurs actions. Bien que l’aspect féodal des mythologies s’étende également à l’attitude chauvine de ses personnages masculins envers les femmes (qui sont des demoiselles en détresse qui doivent être sauvées par des hommes forts et masculins), les protagonistes restent pour la plupart moralement droits, se battant toujours pour le plus grand bien du peuple. Cela ne veut pas dire que les films de Rajamouli sont dépourvus de toute progression du personnage. En fait, ses protagonistes suivent toujours le parcours d’un héros. Mais, dans la plus pure tradition des films grand public, au lieu de partir de zéro, ils commencent à cent et vont jusqu’à mille. Les obstacles ne sont que des tremplins pour de plus grandes réalisations, tandis que les échecs, s’il y en a, allument une passion brûlante pour réduire l’ennemi en cendres.
La représentation presque caricaturale du bien et du mal permet également une utilisation exaltée de la violence. Il existe une démarcation claire entre la violence tyrannique et la violence légitime, la seconde étant toujours nécessaire pour l’emporter sur la première. Bien que Rajamouli croie en la beauté de la romance, il n’est pas assez naïf pour suggérer que l’amour seul peut mettre fin aux conflits. La paix est toujours obtenue par une lutte violente et l’effusion de sang assure la prospérité pour l’avenir des peuples victimes. Cette vision du monde crée un paradoxe : l’aspect positif des récits de Rajamouli est toujours tempéré par la volonté des protagonistes de mettre leur vie en danger pour une cause honorable. Le fait que la mort soit toujours une possibilité augmente les enjeux de ses histoires, mais le fait qu’aucun de ses protagonistes ne meure réellement (que ce soit en trompant le dieu de la mort lui-même ou en transcendant la mort par la réincarnation) est également un témoignage littéral du caractère “plus grand que nature” de ses films.
Le cinéma de Rajamouli est, tout simplement, tout ce que le cinéma populaire peut et devrait être. Il inspire, divertit et relie le public sur le plan primaire, et montre qu’une vision commerciale du cinéma ne doit pas nécessairement être dissociée de la perspective artistique.