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Strip-tease Intégral | Autopsie d’une société en représentation

Critique | Strip-tease Intégral de Jean Libon, Clémentine Bisiaux, Régine Dubois, Stéphanie De Smedt, Mathilde Blanc & Yves Hinant | 1h30 | Par Louan Nivesse 

Tout commence dans une lumière crue, une chambre d’hôtel impersonnelle à Dubaï. Deux jeunes femmes s’y filment, obsédées par l’angle parfait, la luminosité flatteuse, la mise en scène d’un quotidien qui n’existe que pour être vu. Elles rient, grimacent, gémissent sous l’effet d’une douleur superficielle – une simple pose de facettes dentaires, transformée en supplice filmique. Dans l’objectif, pas de drame, pas de réflexion : juste un corps en train d’être modifié, vendu, absorbé par l’écran. C’est là que Strip-tease intégral frappe le plus fort. Le film tend un miroir à notre époque, non pas avec un discours didactique, mais avec une caméra fixe, impassible, témoin silencieux d’une humanité qui se débat dans sa propre mise en scène. Comme ces influenceuses, comme cette mère de famille prônant le zéro déchet tout en imposant à ses enfants un dogme oppressant, comme ce comédien du dimanche traînant son one-woman-show à Avignon, jouant devant des sièges vides, résistant à l’évidence qu’il n’est pas fait pour ce métier. Ce sont eux, les personnages de cette fresque documentaire : des figures du réel, si caricaturales qu’elles en deviennent surréalistes.

© LE BUREAU – APOLLO – FRANCE 3 CINÉMA – ARTÉMIS PRODUCTIONS – RTBF – 2025

Là où Strip-tease capturait, il y a vingt ans, des existences modestes dans leur sincérité brute – l’ouvrier, l’enseignant, le petit patron, la mamie excentrique – Strip-tease intégral montre aujourd’hui des corps hantés par le spectacle d’eux-mêmes. L’ouvrier est devenu influenceur, l’enseignante mère militante, le petit patron un anxieux chronique. Dans notre monde saturé d’images, on ne vit plus pour soi mais pour les autres, pour l’illusion d’une validation extérieure, que ce soit en likes, en followers, en billets d’entrée ou en approbation idéologique.

Soudainement, un homme allongé, inerte. Bidoche. Pas un acteur. Pas une image de fiction. Un vrai cadavre, disséqué sous nos yeux, froidement, méthodiquement, jusqu’à ce que son visage ne soit plus qu’un souvenir de chair. En salle, on entend les rires gênés, les gloussements d’un public qui ne sait plus s’il doit détourner le regard ou continuer à consommer le spectacle jusqu’au bout. Ce corps, c’est celui de n’importe qui, de n’importe où. Peut-être est-ce le nôtre. Peut-être est-ce là que tout finit : dans l’impudeur totale, la marchandisation ultime, le dernier acte de la mise en scène de soi.

En 2024, Le Monde titrait : « Une influenceuse meurt en direct en tentant un défi sur TikTok. » Un fait divers comme un autre, un de ceux qui se fondent dans l’algorithme et disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. On ne meurt plus dans l’ombre, on meurt en direct, entre deux publicités pour des produits de beauté. Strip-tease intégral nous confronte à cette absurdité, à cette fascination morbide qui nous entraîne à regarder encore et encore, jusqu’à l’indicible, jusqu’à l’irreprésentable. Nous sommes face à un témoignage qui tranche la peau de notre époque, qui dissèque nos vanités, nos angoisses, nos petits arrangements avec la vérité. La caméra, implacable, ne nous laisse pas d’échappatoire. Elle filme et nous laisse face à nous-mêmes. Et si nous aussi, nous étions déjà des cadavres en sursis, attendant notre dernier gros plan, le dernier like avant la chute ?

| Au cinéma le 12 février 2025