[rEVIOWZ] Mayday, Crocs, Pas Bouger & Holo – Les obsessions de Sébastien Vaniček

Le fascinant Vermines de Sébastien Vaniček a suscité un tel enthousiasme que Shadowz a judicieusement décidé de réintégrer ses travaux précédents sur sa plateforme. En effet, avant les redoutables araignées, l’univers du réalisateur se frayait un chemin vers le grand écran par l’aviation, les chiens, et surtout, la carte Dracaufeu. Cette dernière référence peut sembler humoristique, mais je vous assure que cette blague est l’un des courts-métrages les plus surprenants qu’il nous ait été donné de découvrir.

Tout débute en 2013 avec Mayday, un court-métrage d’une dizaine de minutes qui nous plonge dans le voyage de Michel, un homme aux prises avec des fantasmes hallucinatoires intenses, alors qu’il se trouve à bord d’un vol d’extradition en direction des États-Unis. Michel est confronté à une série d’hallucinations déstabilisantes, au jugement des autres passagers, à la rigidité du système judiciaire américain, ainsi qu’à l’angoisse d’un crash imminent. Tout cela s’avère être une charge bien trop lourde pour cet homme vieillissant, fragilisé et perturbé. Malheureusement, il est de notoriété commune que tout commence par un échec. On peut certes applaudir le réalisateur pour la qualité de la reconstitution intérieure de l’avion, mais on peut également lui reprocher un excès d’idées. Sébastien est malin, car il expérimente diverses pistes dans ses hallucinations, mais cela peut rendre la compréhension de ce que l’on voit difficile. Les événements s’enchaînent sans véritable cohérence. Un passager, perturbé par les secousses, en profite pour agresser sexuellement sa voisine, déjà défigurée, avant de se précipiter dans les toilettes, de vomir, puis d’embrasser subitement l’hôtesse de l’air. Ou peut-être était-ce l’inverse ?

Mayday, 2013

Ensuite, Michel, assis paisiblement sur son siège, est brusquement agressé par son voisin de gauche, sans que l’on comprenne pourquoi. Cette série d’événements loufoques semble surgir de nulle part, évoquant les pulsions des infectés dans The Sadness, sans pour autant véhiculer un message politique clair, comme il le fait avec brio dans son récent Vermines. Ajoutez à cela une caméra tremblante à la manière de Destination Finale et une conclusion surréaliste où l’on voit l’avion exploser en plein vol à travers la fenêtre d’un homme en train de s’adonner à des activités intimes en regardant un film pour adultes, et vous obtenez ce que l’on pourrait qualifier de Mayday. Certes, les idées fusent, mais c’est tout ce qu’il en ressort. Il est nécessaire de faire des erreurs, et il faut admettre que cela sera la seule fois pour Sébastien Vaniček.

Plus de trois années se sont écoulées depuis, et le réalisateur Sébastien Vaniček nous revient avec Crocs, une œuvre d’environ trente minutes. Dans ce court-métrage, il introduit plusieurs des thèmes qui transparaîtront encore plus clairement dans Vermines. Le premier, et le plus prédominant ici, est celui des chiens. Sébastien Vaniček est manifestement un amoureux des pattes canines, car même au cœur de son univers arachnéen, le meilleur ami de l’homme est présent, accompagnant la première victime de l’immeuble : Toumani, celui qui achète les baskets. L’animal est témoin de sa mort et devient également notre observateur privilégié des conséquences de l’invasion d’insectes. Dans ce second court-métrage, le réalisateur explore la fidélité d’une chienne de combat envers son maître, une loyauté perturbée par sa récente mise bas. Un instinct maternel violent s’éveille chez Magda, mettant en danger la famille de Ian, interprété avec justesse par un Olivier Barthelemy des plus pertinents. Ian doit se résoudre à séparer la chienne de ses chiots et à la remettre dans l’arène. Le film nous plonge dans des combats de chiens, marqués par une abondance de bave, filmés avec une caméra portée à l’épaule, créant une certaine violence que l’on pourrait rapprocher de celle présente dans Les Meutes, bien que l’image soit plus nette et en pellicule, signes d’une maturité accrue et d’un amour naissant pour la composition visuelle. Le générique de Crocs est également d’une grande beauté formelle, une qualité que l’on retrouve dans la conception du générique de Vermines, avec ses toiles d’araignée et cette musique au tempo envoûtant.

Crocs, 2018

Une autre qualité notable de Vaniček réside dans sa capacité à écrire des dialogues contemporains pour des personnages jeunes. Il n’hésite pas à insérer des expressions modernes telles que “bébé” de manière naturelle, notamment lorsque Ian s’adresse à sa compagne, sans que cela ne paraisse artificiel. La direction d’acteurs joue un rôle crucial dans cet aspect, car même si, comme dans ses deux précédents courts-métrages, tous les acteurs ne sont pas des professionnels, ils parviennent à livrer des performances authentiques. Enfin, en guise de détail précurseur, un bref plan sur une sauterelle, surprenante apparition, trouve sa place dans Crocs. Aujourd’hui, tout semble trouver sa logique. Oui, c’est bel et bien sa deuxième obsession.

Là où sa devient vraiment compliquer pour Vaniček, c’est quand l’homme décide de lâcher les chiens. En 2021, il nous propose Pas Bouger, un court-métrage de seulement 8 minutes, marquant sa première collaboration avec Jérôme Niel. Le postulat est simple, Niel nous livre un tuto sur la manière de régler son compte à un individu qui abandonne son chien en pleine nature. Oui, c’est simple, mais incroyablement efficace. L’acteur devient presque surhumain, tandis que le réalisateur se positionne comme le défenseur intransigeant des droits des animaux. Il n’y a pas grand-chose d’autre à ajouter ici, car cette explosion de violence, entre le sang qui coule et le retournement de voiture à mains nues, est à la fois jouissive et hilarante à découvrir. Il semble indéniable que le message politique de ce court-métrage est aussi clair que le divertissement qu’il offre. Rien de surprenant (hormis le format 1,33:1), tout comme ce gros plan fugace sur un insecte que l’on peut également apercevoir ici aussi.  

—> Pas Bouger, 2021

Cependant, la surprise surgit avec Holo, la deuxième collaboration de Sébastien Vaniček avec Jérôme Niel, même pas un an après leur précédent projet. Dans ce court-métrage, Vaniček incarne un personnage malchanceux qui tente de duper des trafiquants de cartes Pokémon rares. Après s’être fait prendre dans sa combine, lui et son complice, interprété par Jérémie Dethelot, doivent mettre la main sur une véritable carte Dracaufeu holographique, une question de vie ou de mort. En résumé, c’est comme Uncut Gems avec des cartes Pokémon, et cela fonctionne à merveille. La comédie est mise de côté au profit d’un véritable polar d’une quinzaine de minutes qui déverse ses références tout en conservant son identité propre. Le travail visuel atteint ici son apogée, avec une esthétique néon qui confère un cachet particulier, bien loin des courts métrages YouTube auxquels on aurait pu s’attendre. Nous sommes confrontés à une véritable expérience, qui, bien que semblant absurde sur le papier, paraît étrangement crédible, même lorsqu’elle nous gratifie d’un caméo de David Lafarge. C’est là que réside la véritable identité de Sébastien Vaniček : nous proposer de la série B, basée sur des concepts “farfelus,” tout en nous adressant des messages sérieux sans prendre le spectateur pour un imbécile.

Holo, 2022

Vermines, c’est cela. Un long-métrage sur une invasion d’araignées qui nous offre la dose nécessaire de frayeur et d’arachnides pour satisfaire notre appétit, tout en utilisant cette trame pour aborder d’autres sujets. Il nous parle de notre police, de notre gouvernement qui laisse les banlieues et les logements sociaux se détériorer avant d’intervenir, de la précarité de certaines habitations dans lesquelles vivent des familles. Les vraies Vermines, ce sont ceux qui nous dirigent, ceux qui ne doivent Pas Bouger, ce sont les maîtres qui abandonnent, et le véritable Mayday à secourir n’est pas l’avion. Sortez les Crocs, et savourez ce halo d’inventivité qui s’ouvre à nous grâce à ce cinéaste déjà passionnant qu’est Sébastien Vaniček.

Mayday, Crocs, Pas Bouger & Holo, réalisés par Sébastien Vaniček – Disponibles sur Shadowz

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