Pour cette première séance, un thème commun entre les quatre films (bien qu’un peu tiré par les cheveux) est bien évidemment l’eau. Nous embarquons donc à bord d’un bateau de la Seconde Guerre mondiale, sur les rivages néo-zélandais, dans la baignoire d’un appartement français, et enfin, nous tremperons nos pieds en Irlande. Cette première séance réussie marque le début de la dix-neuvième édition du festival de Court Métrange, diffusée simultanément sur Shadowz, la plateforme partenaire de l’événement. Cette croisière d’une cinquantaine de minutes sera décryptée tout de suite :
MIDDLE WATCH – JOHN STEVENSON & AIESHA PENWARDEN (2022)
La première séance s’ouvre donc sur l’un des plus beaux films d’animation de l’année : Middle Watch, co-réalisé par John Stevenson & Aiesha Penwarden. Il est difficile de résumer cette histoire de douze minutes en quelques mots, mais pour simplifier, elle adapte simplement une vraie lettre écrite par un soldat de la Seconde Guerre mondiale lors d’un de ses trajets à travers l’océan Indien. Que ce soient ses cauchemars, ses angoisses, ses moments de rêverie, et surtout sa fabuleuse rencontre avec une créature marine : tout le contenu de cette lettre est adapté de manière remarquable. Les couleurs font ressortir cette étrange beauté caractéristique de l’océan, à la fois sublime et terrifiante. Il existe un adjectif précis pour ce genre de situation, tellement belle et grandiose qu’elle en devient effrayante, et c’est sublime. Il s’agit d’un témoignage des difficultés ressenties par les marins pendant la guerre, bien sûr, mais mélangé à cette ode à l’océan et à ses mystères. En douze minutes, John Stevenson & Aiesha Penwarden s’imposent comme des cinéastes à suivre, et Middle Watch comme l’un des grands courts-métrages de la sélection.
TAUMANU – TARATOA STAPPARD (2022)
Le deuxième court-métrage de la séance explore cette fois-ci toutes les nuances d’un mot : “Taumanu”. Il s’agit d’un verbe néo-zélandais qui signifie coloniser, mais aussi reprendre possession de quelque chose. En quelques minutes, vous comprendrez parfaitement à quel point ce titre peut sembler effrayant ici. Nous nous trouvons en effet au sein d’une famille aisée de l’île, des colonisateurs, qui se moquent des coutumes locales et ont l’intention d’accumuler un maximum de possessions artistiques, et bien plus encore. La colonisation implique également le contrôle des corps et des esprits, une thématique parfaitement explorée grâce au personnage principal, un domestique à mi-chemin entre deux mondes : les Maoris et les colons anglais. Thématiquement, le film est donc riche et pourrait être un terrain d’exploration d’une horreur à la fois intime et visuelle. Pourtant, le cinéaste ne va jamais au bout de ses idées et reste sur une confrontation prévisible et relativement douce visuellement. On aurait justement souhaité que Taratoa Stappard s’empare davantage de son sujet.
LÀ OÙ L’ON S’ÉCOULE – LÉA CLERC (2022)
Tout comme Middle Watch, il s’agit d’un court-métrage d’animation, cette fois-ci français, et d’une durée de quatre petites minutes. Pourtant, c’est le film le plus touchant de la séance. L’histoire d’une femme qui, en allant s’occuper de sa mère âgée, découvre que celle-ci est en train de se transformer en quelque chose d’autre. Le pitch aurait pu être le point de départ d’une histoire horrifique (comme Stephen King l’a fait avec “Matière Grise“), mais la réalisatrice choisit au contraire de capturer une métaphore ô combien émouvante : celle du départ des aînés. Tout ce changement, où l’on devient autre chose, est bien sûr une analogie avec la mort. Un film qui traite ce sujet avec beaucoup de justesse, jamais dans le mélodrame ou le pathos, mais toujours avec intelligence et subtilité. Parfois, laisser partir quelqu’un est la meilleure solution, il faut accepter le changement. Une morale simple, mais qui suscite de nombreuses réflexions en seulement quatre minutes.
SIMON – BEN COWNAY & PETER J. MCCARTHY (2022)
Pour conclure cette séance, voici un court-métrage irlandais de treize minutes (ça ne peut que nous porter chance), dans lequel Simon reçoit un appel. Bien évidemment, la situation est un peu plus dramatique, car c’est un coup de fil de son frère en pleine crise, qui semble vouloir mettre fin à sa vie et à celle de son jeune enfant. C’est une situation que Simon doit absolument empêcher, alors qu’il ne dispose que de sa voix et de ses mots. Et c’est là que l’angoisse atteint des sommets : le protagoniste se retrouve face à une situation difficile, et sa seule manière de la percevoir se fait au téléphone. Les coupures, le manque de vision, et surtout l’impossibilité d’intervenir transforment cette situation en un véritable enfer pour Simon. Au fil des minutes, le contexte s’étoffe, et avec lui, les chances de survie de Simon diminuent. Réussir à maîtriser autant la tension et l’hors-champ, sans jamais se perdre, relève du génie.
Tous les courts-métrages sont désormais disponibles sur la plateforme Shadowz.