Les décorations de Noël sont bien visibles sur la maison, le tueur s’approche en point de vue subjectif. Rupture de rythme, nous sommes avec la famille traditionnelle d’une sororité. Qui a laissé la porte ouverte ? Black Christmas s’articule sur la signification des perspectives, laissant les interrogations persistantes sur l’absence des petits amis de cette bande de filles, et des figures protectives du foyer. Pendant cette période de congés scolaires, les filles n’ont plus que cette crainte du retour de l’appel téléphonique. Les voix sont multiples, l’auteur des crimes jouant sur la confusion d’un décalage entre fiction de famille et réalité.
Préfigurant le futur Halloween (1978) et Scream (1996), Bob Clark met en scène des femmes fortes et sûres de leurs convictions. Le climat harmonieux de la fête en introduction est rompu dès le premier échange avec le meurtrier qui avait déjà conversé avec elles, manifestant son désir de tuer à nouveau et violer. La plus téméraire n’a peur de rien. Habituée par la menace, elle lui raccroche au nez. La subjectivité du point de vue de l’assassin caractérise la difficulté à attraper les victimes, ne pas se faire voir, un boogeyman condamné à rester au grenier. Sans l’être vraiment.
S’il ne porte pas de masque et tue sous plusieurs moyens, le metteur en scène choisit de ne pas lui donner d’identité propre. C’est que le meurtre est vécu collectivement, infligé d’un personnage à l’autre. Célébrée par les filles, la mère de la maison attaque autant le père que ne le fait Jessica à son propre compagnon en lui refusant toute concession. Tout cela résulte d’un engrenage de circonstances, percevant les désirs des autres pour des attaques personnelles. Un avortement, un échec au conservatoire, le dilettantisme d’une police trop peu investie.
Joint par le montage alterné à une scène de chorale, le troisième meurtre révèle de peu une partie du visage du meurtrier. Les coups sont bien aperçus, le geste du couteau comme le corps transpercé. À ce moment précis, l’expression du regard enfantin se ravive. Ils deviennent animés, et fredonnent la mélodie avec insistance. Là où les personnages chez Bava côtoieraient les marionnettes que l’on déplace au gré du dynamisme du récit, ceux de Clark sont prêts à devenir des bêtes sauvages. Il n’y a pas de prédisposition à la violence ou au ressentiment instantané, mais chacun décide de son propre chef de la suite des évènements.
Le policier maladroit ne comprend pas la blague de la ligne téléphonique qui lui est donnée, et l’autre rigole à tue-tête à la moindre occasion qui se présente devant le chef du commissariat. Cette forme de non-maîtrise se contredit par la distanciation prise par l’assassin recherché, observant patiemment derrière les vitres, écoutant derrière les portes et au plancher les conversations. Il faut dézoomer le lieu du crime pour comprendre la difficulté à saisir un élément essentiel, pourtant dissimulé. Le plan final de Black Christmas inclut à ce titre la sonnerie du téléphone en extradiégétique, alors que la décoration brillante se perçoit sur le lieu de crime. Personne ne l’entend, seulement nous avertis que le bain de sang est renouvelé.
Dans le hors-champ, les silhouettes s’animent et se dévoilent sans laisser de traces. Mais Jessica n’est jamais craintive, elle veut dialoguer. Les confessions de besoin d’aide du psychopathe au téléphone, puis de son copain peuvent paraître les mêmes. Mais chacun tente de se libérer ici par un acte, par l’humour, la gaffe, la performance musicale, le déchaînement de passion et le coup de couteau. C’est bien parce que l’on n’attendait pas de cette fille de battre son prochain que le retour au point de vue omniscient se fait. L’assassin se cache dans la penderie et au grenier, mais nous sommes là encore victimes d’un mystère irrésolu. Le heurtement n’a pas de cause simple.
Black Christmas de Bob Clark, 1h38, avec Olivia Hussey, Lynne Griffin, Keir Dullea – Disponible sur Shadowz, en DVD et Bluray.
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William Carlier8/10 MagnifiqueBlack Christmas est un bijou de l'horreur, considéré comme le premier slasher à bien des égards.
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Vincent Pelisse7/10 Bien