Indubitablement, une admiration sincère est portée à l’égard de Shadowz. Cette plateforme délectable nous gratifie d’une panoplie d’œuvres dévolues à l’horreur, au cinéma de genre, à la série B, et à d’autres domaines flirtant avec le macabre, les mystères de l’esprit et la science-fiction. Toutefois, si l’on devait discerner un créneau qui ne retient guère notre attention et qui s’avère éloigné de notre intérêt, il s’agirait sans conteste de ce que l’on qualifie vulgairement de torture porn. Il s’agit là d’intrigues dramatiques, souvent empreintes de désespoir et rarement dotées d’un dénouement heureux, où des âmes infortunées se trouvent à la merci de pervers sadiques, agissant en solitaire ou, parfois, en un sinistre collectif. Les malheureux sujets sont soumis à toute sorte de brutalités, de tortures et d’atrocités, les menant inexorablement vers une issue fatale. Dans ce registre, l’exclusivité récente de Shadowz, Beaten to Death, s’y inscrit aisément.
La question fondamentale que suscite ce long-métrage dirigé par Sam Curtain pourrait se résumer ainsi : le titre représente-t-il une menace imminente ou une promesse morbide ? Aucune de ces hypothèses ne saurait séduire, non seulement notre protagoniste, mais également nous, qui sommes condamnés à observer ce pauvre individu être sauvagement et cruellement châtié, torturé, défiguré, et sombrer inexorablement dans une quête désespérée de vengeance et d’évasion pendant près de quatre-vingt-dix interminables minutes. Il est ardu de discerner la moindre vertu dans cette expérience macabre, répétée inlassablement au fil du récit, d’autant plus que cette narration se déploie de manière éclatée et fragmentaire. On ne saurait faire l’impasse sur le fait que Thanatomorphose d’Éric Falardeau, également disponible sur Shadowz et prochainement en version Blu-ray, pâtit des mêmes lacunes, si ce n’est que cette fois, le personnage central, Laura, est confrontée à un déclin inexorable de son propre corps, plutôt qu’à la violence infligée par autrui.
Le malheureux protagoniste de Beaten to Death répond au nom de Jack (interprété par Thomas Roach), un homme précipité dans l’obscurité la plus sombre, sous l’emprise de poings implacables. Dès les premiers instants, nous le contemplons en gros plan, assailli par ces coups meurtriers, administrés par un homme à l’allure d’un motard robuste (campé par Andy Krambousanos), laissant le visage de Jack se teinter inexorablement de rouge. À chaque répit accordé par ses tortionnaires, Jack tente désespérément de joindre sa petite amie ou femme, Rachel (incarnée par Nicole Tudor), gisant dans une pièce voisine de la cabane isolée où leur funeste destin les a conduits, motifs qui ne nous seront jamais dévoilés. Il convient de préciser que le supplice enduré ne se limite pas à une heure et demie de ce calvaire, bien que cela semble certainement être le cas, voire pire, étant donné les innombrables épreuves auxquelles Jack est soumis, lesquelles, pour le moins que l’on puisse dire, ne laissent aucune place à l’apaisement. En théorie, Curtain et son co-scénariste Benjamin Jung-Clarke ont élaboré les prémisses d’un récit d’horreur d’une crédibilité déconcertante, car il est ardu de ne pas s’imaginer dans une situation analogue, étant donné que leur œuvre ne dévie jamais du calvaire enduré par Jack.
À un moment donné, il est pratiquement inévitable que tout spectateur regrette d’éprouver une telle compassion. Ce moment survient peut-être dès le début, lorsque le premier bourreau au cœur de pierre déchaîne sa fureur, interrompant brièvement son labeur seulement pour étouffer Jack de manière encore plus implacable. Ou peut-être ce sentiment surviendra-t-il plus tard, lorsque l’un des agresseurs brandira un couteau, promettant à Jack que le visage de sa bien-aimée gisante sera la dernière image à jamais gravée dans ses yeux. Si le remords ne s’empare pas alors du spectateur, il suffit d’attendre un court instant que Curtain nous offre une perspective subjective de l’assaillant, portant à terme son œuvre macabre. En vérité, cette histoire ne comporte guère de développements en dehors de la violence, souvent sauvage, ou du sentiment d’impuissance et d’effroi, alors que nous plongeons aveuglément dans le supplice incessant de Jack qui, à un moment donné, trébuche, bafouille et lutte sporadiquement pour atteindre une lueur d’espoir insaisissable. L’intrigue est si mince en termes de caractérisation qu’elle doit jongler entre des sauts temporels pour ne pas paraître aussi inlassablement nihiliste qu’elle l’est en réalité.
Certains flashbacks dévoilent un passé heureux pour Jack et Rachel (on peut apercevoir cette dernière chantant dans un bar tandis que Jack s’amuse avec des amis, bien que l’identité de ces derniers et leur relation avec le couple demeurent flous), avant que des difficultés financières ne s’abattent sur eux. Confrontés au désespoir, ils quittent la ville pour la campagne, où ils croisent la route de l’individu destiné à martyriser Jack, bien que son sinistre dessein demeure hors d’atteinte, faute de moyens. Les retours en arrière révèlent Jack inlassablement à la recherche d’une issue. Toutefois, l’antagoniste doit ici composer avec la nature et l’épuisement, bien que ce torture porn ait conditionné notre esprit à anticiper le pire. Le dénouement de l’histoire, non seulement en général, mais également dans les détails du montage, révèle une révélation qui, cruellement, échappe à Jack, ce qui rend cette conclusion tout à fait anticlimatique.
Dès les premiers instants, une cruauté palpable imprègne l’ensemble, qui ne fait que trouver de nouvelles modalités pour exacerber cette sensation. À bien des égards, le film est construit avec soin. À titre d’élément positif, la violence sanglante et gore revêt une dimension étonnamment réaliste, tandis que le suspense entourant les efforts de Jack pour échapper à un adversaire jouissant manifestement d’une supériorité écrasante parvient sporadiquement à captiver (le moment initial d’ironie cruelle, lorsque Jack découvre l’utilité pragmatique d’un individu bienveillant, campé par un David Tracy fort convaincant, constitue une véritable claque, pour une fois, métaphoriquement parlant). Cependant, dans l’ensemble, Beaten to Death semble plus être une méditation sur la manière dont les cinéastes abordent leur concept que la concrétisation d’une menace ou d’une promesse.
Beaten to Death de Sam Curtain, 1h32, avec Thomas Roach, David Tracy, Justan Wagner – Exclusivement sur Shadowz le 26 janvier 2023