Bien avant l’Héritière (1949), William Wyler réalisait L’Insoumise avec Bette Davis en adaptant la pièce de théâtre d’Owen Davis Sr. Située en Nouvelle-Orléans, l’action suit la jeune Julie Mardsen (Bette Davis), qui décide d’humilier son fiancé Preston (Henry Fonda) en rompant le mariage prévu. Les choses ne semblent plus les mêmes trois ans plus tard, quand Preston est marié à une autre femme, et qu’il succombe à la fièvre jaune. C’est à elle de revenir pour rester à ses côtés.
Il n’y a pas à dire, l’actrice hollywoodienne savait incarner des rôles complexes, ici pour une interprétation de personnage qu’elle rêvait de faire depuis des années avant le tournage. Déjà reconnu en script doctor, Wyler se charge de l’adaptation de la pièce aux côtés de John Huston en mettant au service son grand talent de metteur en scène. Si la réalisation est douce, filmant avant tout ses personnages en prenant de la distance, il les met dans des cadres les enfermant en permanence.
Cette manie du réalisateur s’exprime à travers sa filmographie entière, mais davantage lorsqu’il exerce son art pour le film d’époque. Avant Autant en emporte le vent (1939) donc, Wyler se sert de la guerre de Sécession pour dépeindre la fin de l’ère sudiste, et a fortiori celle d’une femme du nord, avide de pouvoir sur l’autre, insoumise et dévergondée. L’épilogue du film, où Julie se retrouve sur le chariot des morts est à la fois triste et presque rassurant, la jeune femme se confrontant à l’envers de la réalité sociale autour de son petit monde tranquille.
« I’m thinking of a woman called Jezebel who did evil in the sight of God” (Je pense à une femme nommée Jezabel qui a fait le mal dans la perspective d’atteindre Dieu) dit un personnage à un autre, expliquant le titre original du film « Jezebel » en référence au personnage biblique. Mourant dans l’agonie, après avoir manipulée son époux, elle est représentée physiquement comme ressemblant beaucoup à Davis dans les manuscrits. Cette relation chaotique du couple fonctionne très bien ici, l’alchimie entre l’actrice et Fonda étant remarquable puisqu’elle fonctionne sur un calme entre les deux. Tout se joue en coulisses, et l’acteur sait incarner le gentilhomme avec brio.
L’Insoumise n’a probablement pas la même veine tragique que bien des mélodrames de Wyler, en partie à cause de la présence d’éléments en surplus comme la musique persistante ou le registre du pathos qui n’est pas aussi présent que cela en général dans son cinéma. Cependant, il y a un jeu constant sur la lumière, permettant d’accentuer les expressions de Bette Davis en lui conférant un caractère tout à la fois angélique et manipulateur. La photographie d’Ernest Haller est sublime, et le long-métrage dispose déjà de cette tristesse enfouie derrière une façade sociale. Cette thématique est plus aboutie dans l’Héritière, sans conteste, mais le mélodrame proposé a des choses à revendre, d’autant plus qu’il se situe dans la période du code HAYS. Un souffle de liberté, oui !
L’Insoumise de William Wyler, 1h43, avec Bette Davis, Henry Fonda, George Brent – Projeté à la 51e édition du Festival La Rochelle Cinéma, sorti en 1938