Premier film de la trilogie Cœur d’or de Lars Von Trier, Breaking the Waves reste à ce jour un des plus beaux films du cinéaste danois. Mis en scène au théâtre puis en opéra, le récit tragique de Bess (Emily Watson) est si douloureux qu’il est certainement plus agréable de le revoir chanté, ou avec des acteurs sur scène. La différence majeure avec Dancer in the Dark (2000) consiste en ce refus de rendre le quotidien horrible du personnage principal moins réaliste, de donner une certaine poésie à la relation amoureuse. Breaking the Waves a pour objet un handicap sévère dans le couple, celui de l’amour.
Quand Jan (Stellan Skasgård) devient paralysé, il refuse que Bess soit malheureuse à ses côtés tant sentimentalement que sexuellement. Il lui demande alors d’être heureuse, d’avoir des relations charnelles avec d’autres hommes et qu’elle lui dise les détails. Lars Von Trier ne cède jamais à l’émotion facile, exigeant déjà avant Nymphomaniac (2013), une rigueur du ton dramatique en ce que Jan reste entêté à poursuive son chantage affectif même si cela affecte Bess. En se sacrifiant pour son bien aimé, elle se surpasse et devient un ange en fin de film après son chemin de souffrance.
Sur une approche féministe, le réalisateur suscite la provocation en mettant en scène la déliquescence progressive de son personnage qui finit par se prostituer. Il est évident que le regard porté sur la religion a tout d’une approche bergmanienne (La Source), voire de Dreyer, mais c’est bien parce que Von Trier magnifie Bess. Jamais satisfaite de ses propres efforts, la sainte ne cesse de renouveler le sacrifice par amour, cherchant dans sa quête la solution ultime pour sauver Jan. Au fond, Breaking the Waves évoque l’amour comme un sacrifice absolu, qu’il faudrait subir au-delà d’un plaisir variable, jusqu’à la mort.
Le réalisme est terrible, et l’humiliation dont la société fait preuve à l’égard de Bess est douloureuse, si ce n’est davantage que certains films de Michael Haneke, où le monde tournant autour de l’homme ne cesse de rappeler que la fin de sa vie approche. Utilisant à nouveau le modèle du Dogme95, Von Trier filme en caméra portée les péripéties du protagoniste sans artifice, sans musique au sein des séquences. Pourtant, le film atteint le sublime à l’occasion de son dernier plan où les cloches sonnent, regardent la Terre où le mari a pu retrouver ses jambes. Bess s’est-elle réincarnée ?
Au fil des chapitres, Breaking the Waves désarme le spectateur et fait mal. C’est en cela que le talent du cinéaste danois résidait déjà, dans sa capacité à rendre l’horreur fascinante, créant parfois des moments de repos magnifiques, comme de la tension inattendue. Le silence est trouvé en fin de film et la situation s’inverse pour les deux du couple, sans spleen. En s’abandonnant à l’autre, ils se sont perdus, et retrouvés. Briser les vagues, changer son destin pour faire face au vide existentiel de la vie humaine.
Breaking the Waves de Lars Von Trier, 2h38, avec Emily Watson, Stellan Skarsgård, Jean-Marc Barr – Ressortie au cinéma le 12 juillet 2023 dans le cadre de la rétrospective Lars Von Trier, projeté à la 51e édition du Festival La Rochelle Cinéma
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