[RETOUR SUR..] Touki Bouki – Que la fête commence (FIFAM 2023)

Cette année, le FIFAM célèbre le cinquantième anniversaire de Touki Bouki, considéré comme l’un des plus grands films sénégalais de tous les temps, voire le plus grand. Récompensé par le prix de la critique internationale au Festival de Cannes en 1973, ce long-métrage marqua les débuts de Djibril Diop Mambety en tant que réalisateur et le propulsa au rang des plus grands cinéastes mondiaux. Malgré cela, il demeure moins connu à l’échelle internationale que Sembène Ousmane. C’est précisément pour cette raison que le festival souhaite mettre en lumière son œuvre cette année. La copie qui sera projetée est magnifiquement restaurée grâce à la Film Foundation de Martin Scorsese, permettant ainsi au public de le découvrir dans des conditions optimales. Touki Bouki raconte l’histoire d’un road trip, mettant en scène deux Sénégalais, un couple amoureux désireux de quitter leur pays pour rejoindre la France.

Le genre du road-trip, popularisé par les films américains des années 70, s’étend bien au-delà des frontières des États-Unis, comme en témoigne ce film de 1973, qui adopte tous les codes du road trip tout en apportant une touche d’originalité. Tout d’abord, examinons de manière générale en quoi ce film s’inscrit dans la tradition du road trip. La réponse est assez simple, car il s’agit d’un voyage à travers le pays, jalonné d’étapes obligatoires et de rencontres avec différents personnages. En s’appuyant sur ce schéma classique, Djibril Diop Mambety expérimente diverses techniques esthétiques et narratives pour transformer ce voyage en une expérience cinématographique sensorielle. Avec ses gros plans, son montage tranchant et ses séquences expérimentales, Touki Bouki a été souvent comparé à la Nouvelle Vague sénégalaise. C’est une œuvre novatrice qui se concentre sur une jeunesse sénégalaise cherchant à quitter son pays. Bien que l’on puisse établir une comparaison facile avec le réalisateur, ce dernier ne prône pas la fuite, mais plutôt le changement. En dénonçant, de manière certes comique, les travers du pouvoir, il promeut un nouveau Dakar.

Malgré les nombreux moments humoristiques du film, chaque séquence conserve une touche de noirceur singulière. Il est impossible de déterminer précisément si cette noirceur provient de la satire constante des puissants, des moqueries des Français (qui véhiculent de nombreux clichés racistes sur les Sénégalais en les qualifiant notamment de “grands enfants”), ou encore du bain de sang initial. En effet, la première scène nous montre la mise à mort d’une vache, sa gorge étant tranchée face à la caméra. Ces images hanteront tout le reste du film, en particulier la scène où le crâne de la vache est placé sur la moto d’un des protagonistes. Ce motif mystérieux semble corrompre l’ensemble du film, comme si cette violence initiale ne pouvait jamais être effacée. À la fin du film, elle empêche même le personnage principal de quitter le pays, comme si cette vache enchaînée devenait une métaphore de sa condition. Le film offre de nombreuses interprétations possibles, à la fois politiques et poétiques.

On pourrait discuter pendant des heures des symboles politiques du film, de la manière dont il joue avec les conventions du road trip, ou encore de ses métaphores subtiles. Cependant, le cœur du film réside ailleurs : dans une scène d’amour. Le fil conducteur de l’histoire est bien sûr l’amour entre les deux protagonistes, qui, lors d’une scène d’intimité, sont reliés visuellement par le montage aux vagues s’écrasant sur la côte. Ce procédé permet d’éviter des images explicites tout en établissant un lien entre les personnages et les paysages qui les entourent. En plus de contenir l’un des plans les plus magnifiques jamais vus au cinéma, cette séquence met en évidence le lien indéfectible entre les individus et les environnements qui les entourent. Les deux s’influencent mutuellement pour construire leur propre avenir. Cette courte scène dégage une poésie captivante, et Djibril Diop Mambety le sait bien, car il la fait revenir de temps à autre, que ce soit par le biais du son ou de l’image. Cette scène d’amour continue de hanter le film, contrecarrant la violence initiale. Peut-être suis-je naïf, mais je suis profondément touché par les personnes qui croient en l’amour.

C’est quoi le cinéma de Djibril Diop Mambety ? C’est avant tout un cinéma empreint d’amour et de poésie, car c’était un homme qui filmait la vie telle qu’il la vivait. Bien qu’il soit décédé prématurément à l’âge de 53 ans, j’ai eu l’occasion de discuter avec différentes personnes qui l’ont connu, et toutes témoignent de son charisme et de sa bonté qui irradiaient tout autour de lui. À l’image de ce film lumineux, qui, malgré ses représentations violentes, continue à briller par son amour. Le musicien et petit frère du réalisateur, Wasis Diop, était présent pour introduire la projection. Il a conclu son discours en citant la même phrase que lui et son frère répétaient à chaque projection de Touki Bouki depuis maintenant 50 ans : “Que la fête commence !

Touki Bouki de Djibril Diop Mambety, 1h29, avec Christopher Colomb, Moustapha Toure, Aminata Fall – Sorti en 1973

8/100
Note de l'équipe
  • Enzo Durand
    8/100 Terriblement mauvais
    À l'image de ce film lumineux, qui, malgré ses représentations violentes, continue à briller par son amour. Le musicien et petit frère du réalisateur, Wasis Diop, était présent pour introduire la projection. Il a conclu son discours en citant la même phrase que lui et son frère répétaient à chaque projection de Touki Bouki depuis maintenant 50 ans : "Que la fête commence !"
  • William Carlier
    8/100 Terriblement mauvais
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