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Section 99 | Catharsis et existentialisme

Bradley Thomas est un homme blanc américain, patriotique, dont la carrure parle plus que sa bouche. Le premier plan qui le montre est assez rapproché : on le voit de dos, sortant d’une voiture. Un champ-contrechamp s’installe alors entre lui et son supérieur ; le cadre, très mobile, accompagne l’annonce de son licenciement de son emploi de mécanicien. De retour chez lui, il apprend que sa femme le trompe. Ils finissent cependant par s’accorder sur l’idée de repartir de zéro, de commencer une nouvelle vie.

Section 99 (ou Brawl in Cell Block 99) ne cesse de montrer un personnage à principes, dont l’action va mettre en branle son couple. Dès que le cadre respire, Vince Vaughn maîtrise son environnement. Lorsque les plans se resserrent, c’est que le personnage est en danger, moralement ou physiquement.

C’est le deuxième film de Steven Craig Zahler, sorti en 2017 uniquement en VOD et DVD, une fois encore. On y observe déjà une nette évolution dans sa mise en scène. Brawl in Cell Block 99 raconte la descente aux enfers d’un homme qui voulait simplement trouver un nouvel emploi, frappé de plein fouet par la crise économique, et qui va finir par être incarcéré. Passé le premier tiers du film – où l’on découvre le personnage, sa manière de travailler, de s’exprimer, mais aussi de perdre le contrôle –, c’est en voulant aider un ami, en servant de coursier pour un trafic de drogue, qu’il se fait arrêter. Tous les enjeux sont relancés à partir du moment où il doit sauver sa femme, alors enceinte, alors même qu’il est emprisonné et privé de tout lien direct avec elle, aussi bien physique qu’émotionnel. Le film choisit rapidement d’épouser le point de vue de Bradley, qui, en prison, doit affronter la dangerosité des autres détenus, et se battre à plusieurs reprises contre des gardes, car ceux qui détiennent sa femme l’obligent à tuer. Ayant trahi ceux pour qui il travaillait, Bradley est contraint d’obéir, pour que son épouse survive. Se dessine alors sous nos yeux, non seulement le portrait d’un homme à principes transformé à jamais – ancien boxeur, travailleur honnête –, mais aussi, en creux, une œuvre sur la catharsis et l’existentialisme.

La catharsis est d’abord une représentation de la décharge émotionnelle d’un être. Ici, c’est un homme qui, pour tenter de préserver son couple, doit recourir à une violence extrême – une violence dont la libération des pulsions produit, chez le spectateur, une émotion paradoxalement jouissive. Voilà le premier sentiment ambivalent que suscite Brawl in Cell Block 99, et qui le distingue de la production américaine contemporaine. Car ce deuxième long-métrage de Zahler assume pleinement son inscription dans un cinéma de genre, presque bis, tout en s’attachant à une veine plus intimiste, presque existentialiste. On retrouve dans ce croisement l’apport scénaristique et descriptif que Zahler a développé dans ses romans : faire s’entrechoquer une conception presque fantasque du combat avec un ancrage très fort dans le réel.

La mise en scène repose sur un principe de mise en danger constante, à partir du moment où Bradley entre en prison. Dès que le cadre s’élargit, le personnage semble à nouveau en contrôle ; mais dès que l’ordre d’une scène est bouleversé, la caméra se rapproche, signe que le personnage perd la maîtrise de son espace. Zahler utilise également des plans longs lors des combats pour mieux capter la chorégraphie dans son intégralité, souvent sans coupe. La violence, parfois si excessive, surprend par son aspect cartoonesque, carnavalesque, voire grotesque – comme dans les trente dernières minutes de Bone Tomahawk.

Quand le personnage songe à son intériorité, Zahler montre une volonté marquée de filmer en courte focale, notamment les scènes d’intérieur – comme lors de la conversation entre Bradley et sa femme, au début du film, où ils évoquent leur difficulté à rester proches. Cet exemple illustre bien la portée symbolique des cadres et leur usage dans le cinéma de Zahler. Le film est construit, comme Bone Tomahawk, en trois actes distincts. Le premier acte met en place le quotidien du personnage. Le deuxième acte est celui du basculement : les principes sont mis à l’épreuve, le havre domestique devient à son tour négociable. Le troisième acte, quant à lui, symbolise la traversée de l’enfer. À mesure que Bradley se bat, il est davantage surveillé, puni, torturé – jusqu’à son transfert dans la prison de haute sécurité qu’est le Cell Block 99, destinée aux criminels les plus honnis de la société.

La fin ne sera pas heureuse pour le personnage de Vince Vaughn. Mais il aura réussi à sauver sa femme, Lauren (interprétée par Jennifer Carpenter), afin que leur enfant puisse naître dans les meilleures conditions possibles. Brawl in Cell Block 99 incarne, dans sa forme, ce que le cinéma américain peine à produire aujourd’hui : une synthèse entre un cinéma de genre qui s’assume, se digère et s’exprime à plein régime, et une veine plus intime, personnelle, réaliste, où l’empreinte de Steven Craig Zahler est reconnaissable, en plus d’évoluer. Entre l’individualisme forcené d’un réalisateur et l’inaptitude d’un personnage à se réinsérer dans un système qui le pousse à la violence, tout tient à un fil : celui de la catharsis et d’une forme de conscience de soi, de ses actes et de leurs conséquences.

Prendre conscience de l’essence de sa vie, de son couple – par ses propres actions.