Avant la sortie en Mars 2018 de Ready Player One, son nouveau blockbuster, Steven Spielberg nous offrait en janvier Pentagon Papers (The Post en VO), un drame politique adapté de faits réels, qu’il a tourné pendant la longue post-production de RPO. En effet, cette histoire est tirée de l’affaire des Pentagon Papers, survenue peu de temps avant le fameux scandale du Watergate. Le récit suivra Katherine Graham, dirigeante du Washington Post et Ben Bradlee son rédacteur en chef, faisant face à un dilemme cornélien : publier les dossiers top secrets prouvant des années de mensonge du gouvernement sur la Guerre du Vietnam en risquant le retrait des investisseurs, ou bien céder à la pression de la Maison Blanche et étouffer l’affaire ? À l’origine, ce fut le New York Times qui commença à tirer la sonnette d’alarme et qui détenait ces secrets gouvernementaux. Cependant, le journal fit rapidement l’objet d’une censure de la part de l’administration Nixon. C’est pourquoi les dossiers furent transmis au Washington Post avec la responsabilité de les publier, ou non.
Meryl Streep (nommée aux Golden Globes et aux Oscars pour le rôle) parvient à faire transparaître les doutes de Kay Graham, tiraillée entre ses valeurs morales, ses obligations professionnelles, et la sphère sociale qu’elle fréquente. Constamment intimidée, et traitée avec condescendance par ses collègues et subordonnés masculins, elle devra se dresser à contre-courant et assumer sa position de femme de pouvoir. Son combat féministe est le moteur de cette lutte pour la liberté de la presse. Tom Hanks, qui lui donne la réplique, est encore une fois excellent avec son interprétation de Ben Bradlee. Incorruptible, il porte au sein de la rédaction le vent de la révolte. Il aura droit également à sa part de doutes : par exemple peut-il se considérer légitime à sortir ces dossiers sur les secrets de la Maison en ayant beaucoup fréquenté la famille Kennedy par le passé ? Avec déjà deux têtes d’affiches 5 étoiles, le reste du casting est loin d’être à déplorer. On retrouve Bob Odenkirk (Better Call Saul), Sarah Paulson (American Horror Story), Carrie Coon (The Leftovers), Alison Brie (Community), Matthew Rhys (The Americans), ou encore Jesse Plemons (Breaking Bad). Pas mal pour épauler le duo principal.
Ces interprétations de qualité sont bien sûr accompagnées de la maestria habituelle de Spielberg dans la réalisation : que ce soit dans la fluidité des mouvements de caméra, ou dans la virtuosité du cadrage et du choix des plans, la facilité avec laquelle il semble manipuler tout ça est déconcertante. La force de sa mise en scène est également d’arriver à donner de l’intensité à une séquence de coups de téléphone, ou d’imprimerie qui auraient pu facilement être anecdotiques. La partition de John Williams est quant à elle assez discrète par moments, mais se révèle très dynamique et somptueuse dans les séquences les plus cruciales, élevant la mise en scène à une couche d’émotion supplémentaire. Ces événements ont considérablement changé la vision du peuple envers les dirigeants américains, mais également l’indépendance de la presse et sa relation avec le milieu politique. C’est cette affaire qui permettra au Washington Post de se crédibiliser à l’échelle nationale et de frapper encore plus fort peu de temps après lors du scandale du Watergate qui mènera à la démission du Président Nixon.
Symboliquement, Spielberg termine son film exactement là où Les Hommes du Président, le film d’Alan Pakula traitant du Watergate, commence. Comme si les deux films s’entrecroisaient, au-delà du lien historique. Il est également difficile de ne pas penser au contexte politique lors de la production du film, avec l’administration Trump, qui a mis à mal les principes de liberté d’information et de démocratie. Un film qui fait écho à plusieurs périodes de l’histoire politiques des États-Unis, soulignant ainsi son caractère intemporel. S’inscrivant dans une longue lignée de films paranoïaques, Pentagon Papers ne cherche pas à reproduire l’esthétique des films du Nouvel Hollywood, mais s’appuie sur toute la science de mise en scène de Spielberg pour incarner avec un dynamisme et une tension implacables les grands moments de cette enquête journalistique. À ce titre, le plan qui reste le plus marquant, représentant l’intelligence de mise en scène du cinéaste, est celui de la fin, avec les journaux qui tournoient verticalement dans l’imprimerie, tels des séquences ADN, comme un symbole de la fondation de la liberté de l’information et du pouvoir démocratique.
Pentagon Papers de Steven Spielberg, 1h57, avec Meryl Streep, Tom Hanks, Sarah Paulson – Sorti au cinéma le 24 janvier 2018