L’Épouvantail de Jerry Schatzberg, sorti en 1973, mérite une attention particulière. Bien que souvent passé sous silence au sein de la riche panoplie de la cinématographie des années 70, le film présente une méditation profonde sur l’amitié, la réalité sociale de l’Amérique, et la quête de sens. Découvrons comment l’œuvre se démarque comme un récit intemporel et captivant.
UN PAYS EN MUTATION
Tout débute par une rencontre inattendue entre deux personnages que tout semble opposer : Max, incarné par Gene Hackman, et Lion, joué par Al Pacino. Cette première rencontre, mise en scène de manière magistrale par Jerry Schatzberg, plante les bases d’une amitié improbable, mais qui deviendra le cœur battant du récit. Les contrastes entre ces deux hommes sont immédiatement perceptibles, tant sur le plan physique que comportemental. Max, avec sa stature imposante et son tempérament colérique, semble être l’antithèse parfaite de Lion, qui est de petite taille, frêle, doux et rêveur. Le contraste entre ces deux personnages est accentué par la mise en scène, notamment par le choix des angles de caméra qui soulignent leurs différences physiques. Pourtant, malgré ces disparités évidentes, une connexion profonde se forme entre eux deux, révélant que l’amitié peut transcender les apparences et les préjugés.
La Palme d’Or de 1973 ne se limite pas à être un simple récit sur l’amitié, il dresse également le portrait d’une Amérique en mutation. Le décor désolé, les friches industrielles et les bars glauques reflètent une Amérique où les promesses de réussite sont souvent entachées par de multiples échecs. Schatzberg utilise habilement ces éléments pour créer une toile de fond sombre et captivante qui accentue les défis auxquels Max et Lion sont confrontés. Les décors deviennent des personnages à part entière, symbolisant l’isolement et la désillusion qui pèsent sur les protagonistes. Les bars crasseux, où les foules cherchent à exister en s’adonnant à des bagarres, dépeignent une réalité sociale brutale. Cette Amérique en mutation sert de reflet à la transformation intérieure de Max et Lion, faisant de leur voyage une métaphore visuelle de leur quête d’identité et de rédemption. Cette ambiance désenchantée, typique des années 70, est capturée avec une finesse qui contribue à l’authenticité du récit. L’Épouvantail transcende ainsi son statut de simple road movie pour devenir une méditation sur la condition humaine et la réalité sociale de son époque.
DUO D’OR
Porté par les performances mémorables d’Al Pacino et de Gene Hackman, deux acteurs de renom à l’aube de carrières légendaires, L’Épouvantail fonctionne grâce à leur jeu exceptionnel contribue de manière significative à la puissance émotionnelle du film.
Al Pacino, connu pour son rôle emblématique de Michael Corleone dans Le Parrain, livre ici une performance saisissante en incarnant Lion, un personnage à l’opposé de la figure impitoyable de Michael. Lion est un homme-enfant fragile, doux et rêveur, en proie à une vulnérabilité touchante. Pacino se métamorphose complètement pour donner vie à ce personnage, montrant ainsi sa polyvalence en tant qu’acteur. Il parvient à capturer la naïveté et la tendresse de Lion de manière convaincante, créant un contraste frappant avec ses précédents rôles. Si vous êtes curieux, il est encore plus saisissant dans Panique à Needle Park, autre (grand film de) Jerry Schatzberg. D’autre part, Gene Hackman incarne Max avec une complexité fascinante. Déjà récompensé par un Oscar pour French Connection deux ans auparavant, il offre une interprétation nuancée de Max. Derrière l’apparence d’un entrepreneur pragmatique, l’acteur révèle la violence latente qui réside en lui. Son personnage évolue au fil du récit, passant de la colère et de la dureté à une forme de sérénité et de douceur. La performance de Hackman dévoile la dualité présente chez Max, un faux dur au cœur tendre, et illustre comment les personnages sont bien plus complexes qu’ils ne le laissent paraître. La chimie entre Pacino et Hackman est palpable à l’écran. Leurs performances contribuent à rendre crédible et poignant le lien qui se développe entre leurs personnages. Nous sommes ainsi témoin de l’évolution de leur relation, marquée par des moments d’intensité, d’humour et d’émotion.
L’Épouvantail tire sa force des petits moments de vérité qui émaillent le parcours de Max et Lion. L’un de ces moments mémorables intervient lorsque Lion, se retrouve à devoir divertir une caissière pour permettre à Max de dérober un article. Cette scène, à la fois comique et émouvante, incarne parfaitement la dynamique entre les deux protagonistes. Lion, avec sa fraîcheur et son enthousiasme naïf, apporte une touche d’humanité et de légèreté dans la vie de Max, le personnage plutôt enclin à l’agressivité. Le spectacle improvisé de Lion est si inattendu et original que même Max, en dépit de ses intentions criminelles, se surprend à regarder Lion, oubliant momentanément son méfait. Cette scène illustre comment ces deux hommes, malgré leurs différences, parviennent à se compléter et à se connecter à un niveau profondément humain.
LE SPECTACLE DE LA VIE
Au-delà de leurs projets modestes, Max et Lion cherchent un sens à leur vie dans un monde qui semble les avoir oubliés. Max veut ouvrir une station-service à Pittsburgh, tandis que Lion aspire à retrouver l’enfant qu’il a abandonné six ans auparavant. Le réalisateur explore leur quête de réconciliation, à la fois avec eux-mêmes et avec la société qui les entoure. Le parcours initiatique de ces personnages révèle la profondeur de leur amitié et leur transformation mutuelle. Le fait que leur voyage se fasse à pied, en stop, ou dans des trains de marchandises renforce le sentiment de vulnérabilité et de désenchantement qui les accompagne, tout en symbolisant leur déplacement à travers un paysage américain en mutation, reflet de leurs propres transformations intérieures.
Que ce soit en prison, avec la symbolique de l’épouvantail ou dans les bars miteux qu’ils fréquentent, les personnages sont confrontés à diverses formes de représentation. Lion, en trublion débrouillard, comprend rapidement l’importance du divertissement pour survivre dans un monde parfois brutal. Son personnage incarne l’idée que l’on peut choisir de rire plutôt que de combattre, de danser plutôt que de se battre. Cette évolution de Max vers la socialisation, du combat à la danse, est au cœur de l’histoire. Les moments comiques du film, comme la scène de strip-tease improvisée pour désamorcer une situation tendue, illustrent cette idée que la vie peut être un spectacle imprévisible, où l’humour et la légèreté peuvent être des armes puissantes contre l’adversité.
L’Épouvantail est une méditation profonde sur l’amitié, la rédemption et la capacité de l’humain à se réinventer au fil de ses rencontres et de ses expériences. Un grand film méconnu à redécouvrir, qui continue de résonner avec force aujourd’hui.
L’Epouvantail de Jerry Schatzberg, 1h44, avec Gene Hackman, Al Pacino, Dorothy Tristan – Sorti en 1973.