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[RETOUR SUR..] La Tendre indifférence du monde – Une comédie romanthriller (FEMA 2023)

Ce long-métrage d’Adilkhan Yerzhanov débute comme une douce comédie romantique. Bien sûr, les malheurs et les inégalités kazakhes se font constamment ressentir en arrière-plan, mais malgré cela, l’amour persiste. Le cinéaste crée un triangle relationnel intéressant, une trouvaille classique des comédies romantiques qui mêlent romance et polar. Ainsi débute le très conventionnel « a Tendre indifférence du monde, alors qu’une jeune femme doit séduire et épouser un dangereux mafieux pour des raisons financières. Puis la réalité rattrape le cinéma.

À la différence de A Dark, Dark man, qui introduisait la beauté par petites touches au milieu d’un océan désespéré d’horreur et d’atrocités humaines, La Tendre indifférence du monde tente quelque chose de différent. Il commence par souligner la bonté et l’amour des personnages principaux avant de faire entrer les vices de leurs proches. L’humain contamine son entourage. Ici, même les familles sont sources de danger, avec des proches qui se manipulent et se contrôlent pour des raisons financières. Nos protagonistes se retrouvent donc seuls, dans un environnement hostile, avec pour seuls moyens de défense l’art et l’amour. L’amour de l’art est ce qui guide Yerzhanov à travers sa sombre filmographie. Les personnages se raccrochent toujours à un espoir grâce à leurs rêves, ce qui constitue un symbole autobiographique pour ce Kazakh.

© Arizona Distribution

Ce que l’on remarque particulièrement avec La Tendre indifférence du monde, c’est que les protagonistes ne combattent pas d’antagonistes précis, même s’il y en a également, mais ils doivent surtout affronter le monde dans son intégralité. Ce n’est pas une quête d’argent, mais une recherche de liberté, celle d’aimer qui l’on souhaite et quand on le souhaite. Et c’est là que les œuvres de ce cinéaste deviennent universelles, elles ne sont pas tant ancrées géographiquement et temporellement. Les lieux ont bien sûr une certaine valeur indicative, mais le plus important sont les messages qu’ils véhiculent. Il y a bien plus d’humanité qu’on ne le pense derrière cette façade de thrillers violents.

Parler de façades pour les longs-métrages de Yerzhanov est particulièrement intéressant, car l’auteur se cache constamment derrière des genres de films préétablis. Il commence bien sûr par nous faire croire que nous regardons un film noir ou une comédie romantique, avant de faire disparaître petit à petit les repères auxquels nous nous accrochons. Mais pourquoi ? Premièrement, car avant d’être un cinéaste, c’est un cinéphile. Il a donc naturellement la volonté de rendre hommage à ceux qui l’inspirent, que ce soit la Nouvelle Vague ou les films noirs. Mais également, en nous détachant de ces repères, le réalisateur nous plonge davantage dans ses œuvres, sans que nous puissions établir de comparaisons malvenues.

© Arizona Distribution

C’est quoi le cinéma selon La Tendre indifférence du monde ? Ce qui est magnifique avec Adilkhan Yerzhanov, c’est sa capacité à attirer le public sur un terrain connu (comédie romantique, film noir, thriller américain), avant de jouer avec ses attentes et ses références. Ce fer de lance du cinéma kazakh est avant tout un cinéphile qui sait que les genres cinématographiques sont éphémères. Alors autant tout envoyer valser pour créer le sien. À travers ses films originaux et novateurs, il guide une future génération de réalisateurs kazakhs, prête à défier les conventions et les habitudes.

La Tendre indifférence du monde d’Adilkhan Yerzhanov, 1h39, avec Dinara Baktybaeva, Kuandyk Dussenbaev, Kulzhamiya Belzhanova Projeté à la 51e édition du Festival La Rochelle Cinéma, sorti au cinéma le 24 octobre 2018