Sorti pendant la Seconde Guerre Mondiale en 1942, ce film de Yasujiro Ozu n’évoque pas le contexte de l’époque, mais va plutôt se concentrer sur le lien entre un père et son fils de l’enfance à l’âge adulte. Dans Le Fils Unique en 1936, son premier film parlant, le cinéaste se penchait sur une veuve tentant de subvenir aux besoins de l’éducation de son fils, en allant travailler loin de chez elle. Dans Il était un Père, c’est le même postulat, mais un père veuf qui fera tout pour assurer le futur de son fils, quitte à vivre séparés.
Ce père est incarné à l’écran par Chishu Ryu, l’acteur fétiche d’Ozu, dont la bonhomie et le sourire réconfortant font toujours énormément plaisir à retrouver dans ses films. Un choix évidemment payant pour tenir la charge émotionnelle du film, toujours avec une certaine dignité. Après un accident ayant causé la mort d’un de ses élèves, M. Horikawa décide d’abandonner son métier, et de retourner dans sa campagne natale, près de laquelle il enverra son fils Ryohei au collège en pension.
Si la situation fonctionne pendant un temps, avec une visite chaque semaine au collège, le père finit par annoncer qu’il part trouver un nouveau travail à Tokyo, afin d’assurer le meilleur avenir scolaire à son fils, et l’envoyer plus tard à l’université. Une perspective difficile à accepter pour le jeune Ryohei, qui devra attendre les vacances d’été avant de revoir son cher père, avec qui il habitait seul auparavant et appréciait particulièrement leurs sorties à la pêche. Sans carton indicatif, seulement avec une transition au montage vers le milieu urbain Tokyoïte, on se retrouve transportés de nombreuses années plus tard, où l’on apprend que Ryohei est passé par l’université de Sendai, et que son père Shuhei est lui encore à travailler à Tokyo.
Leur lien s’est effectivement maintenu au fil du temps avec quelques visites chaque année, mais c’est avec une pointe de tristesse que l’on constate qu’ils n’ont plus eu l’occasion de vivre ensemble depuis l’entrée au collège de Ryohei… Celui-ci marche dans les pas de son père, puisqu’il a obtenu un poste de professeur à la campagne dans un internat, et vit donc encore assez loin de Tokyo. Lors de leurs retrouvailles, il annonce son souhait de démissionner et de partir à Tokyo vivre avec son père, mais celui-ci lui somme de garder son travail, et de tenter de réussir là où il a échoué, dans ce métier à grande responsabilité, envers la jeunesse, et donc le pays. Une grande ellipse étonnante d’ailleurs, au regard du reste de sa filmographie.
Cette idée de séparation tout au long du film rejoint une idéologie japonaise liée au sacrifice pour le bien familial et à la loyauté envers ses proches. On peut également penser que ce portrait est autobiographique, car Ozu a lui aussi grandi séparé de son père, parti travailler à Tokyo pour subvenir aux besoins de leur famille. Chacun doit accepter leur devoir l’un envers l’autre et ne pas décevoir ou ruiner leurs efforts. Le metteur en scène use encore une fois parfaitement de ses célèbres plans à hauteur de tatamis, pour placer astucieusement ses personnages dans le cadre, et ainsi, créer de sublimes compositions renforçant tantôt le lien affectif entre le père et le fils, tantôt leur profonde solitude une fois séparés.
Si l’on est pas face à une des plus grande œuvres du cinéaste, nul doute que son style visuel et narratif se reconnaît entre mille, et qu’il parvient à nous livrer à nouveau un beau drame familial, dont l’émotion culmine dans ses ultimes minutes, avec cette réplique délivrée par Chishu Ryu : « J’ai fait de mon mieux. Je suis heureux. ».
Il était un Père, de Yasujiro Ozu, 1h26, avec Chishu Ryu, Shuji Sano, Shin Saburi – Ressortie au cinéma le 8 novembre 2023.