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[RETOUR SUR..] Fargo – Blanc comme Neige

Les paysages sont l’une des composantes les plus importantes des films des frères Coen. Il suffit de regarder leurs titres de longs-métrages : Arizona Junior (1987), Miller’s Crossing (1990) et No Country For Old Men (2007) en tête. Dans Fargo (1996), sixième collaboration des deux frères, le titre du film est une fois encore un nom de lieu. Une manière de mettre en valeur l’importance du décor dans leur cinéma, et précisément dans ce long métrage se déroulant uniquement dans des étendues enneigées. La séquence d’ouverture est d’ailleurs un long plan filmant à la fois le ciel et la terre, tous les deux d’un blanc immaculé, preuve supplémentaire de l’importance que les réalisateurs accordent au décor. Dans ce polar, un mari (William H. Macy) engage deux criminels (Steve Buscemi et Peter Stormare) pour kidnapper son épouse (Kristin Rudrüd). Son plan est simple : empocher une partie de la rançon pour devenir immensément riche. Pourtant, les routes immaculées de blanc de la neige vont devenir rouge sang dans cette satire. Il faut dire que dans ce film, le lieu de l’action est capital pour retranscrire l’ambiance si particulière qu’ont voulu créer les deux cinéastes. Observons pourquoi en trois points.

Premièrement, c’est le lieu qui influence tout le scénario. Oublions Fargo, nom d’une ville proche de l’action, mais dans laquelle les protagonistes ne mettront que très peu les pieds. En vérité, l’intrigue se déroule plutôt à Brainerd, une ville bien plus petite, mais qui, selon les réalisateurs, sonne moins bien pour un titre d’œuvre. Ce que l’on remarque pendant tout le film, c’est que les personnages semblent connaître très bien le territoire et évoquent sans cesse des points de repères précis. Que ce soient des noms de routes, des hôtels, des restaurants, des parkings ou même d’autres villes comme Saint-Paul et Minneapolis : les protagonistes sont ancrés dans un univers social précis. Le décor sert tout d’abord cette première fonction, celle de créer le cadre de l’histoire. C’est d’ailleurs pour cela que les noms de familles entendus dans Fargo sont principalement à consonnances scandinaves, un héritage des nombreux Européens venus s’installer dans la région. On observe également l’influence du territoire sur les dialogues, avec de nombreuses expressions semblant venir du patois local, que les traductions françaises peinent à affronter. Tout cela est dû au fait que les deux frères ont grandi dans la région et souhaitent retranscrire l’ambiance qui se dégage des lieux le plus fidèlement possible. Le “This is a true story” en début de générique est d’ailleurs une référence à un drame s’étant déroulé dans la région, d’où la volonté de s’approcher au maximum de la réalité sociale du territoire.

Copyright PolyGram Film Distribution

Deuxièmement, le décor, constamment enneigé, met en valeur un élément important de “Fargo” : la mauvaise visibilité. Par exemple, revenons sur la séquence d’introduction précédemment décrite. On ne peut même pas départager le ciel et la terre à cause de la tempête de neige qui brouille la vision. Une scène qui se déroule d’ailleurs chronologiquement à la fin du film, alors qu’elle se trouve au début. Cette idée que les apparences sont toujours incertaines reviendra tout au long de Fargo à travers de nombreuses séquences. La policière (Frances McDormand) à l’allure banale est en fait une excellente enquêtrice, le mari craintif est un manipulateur dangereux, l’ami d’enfance (que la policière revoit) est un menteur compulsif et bien d’autres encore. La météo devient donc une représentation de ce que sont les protagonistes : des inconnus avançant masqués. À ce titre, il y a d’ailleurs un fait que je trouve amusant : l’un des deux kidnappeurs essaie tant bien que mal de se détendre en regardant la télévision, sans jamais réussir. Ce qui l’empêche de pleinement profiter de son feuilleton, c’est la mauvaise réception de sa télévision, qui est donc couverte de “neige” pendant tout le film. La neige, c’est l’isolement pour les personnages du long-métrage.

Et troisièmement, c’est d’ailleurs le point le plus touchant de ces décors, ils isolent complètement les protagonistes. Dans ce paysage d’un blanc-gris déprimant, on remarque immédiatement les personnages, souvent seuls dans le cadre. Le décor vient donc relever le point commun entre toutes ces intrigues et ces habitants différents : ils se sentent seuls. Si les silhouettes des criminels en herbe ou policiers expérimentés, magnifiées par un excellent Roger Deakins, semblent aussi petites dans la neige, c’est parce qu’ils se sentent de cette manière. Le décor, inhumain et violent, apporte étonnamment une touche d’émotion immense au film. Et surtout, une seconde vision à ce long-métrage bien plus émouvant qu’il n’y paraît. La policière semble si seule dans son couple, le mari est déjà perdu dans la solitude (il fait d’ailleurs assassiner son épouse), tandis que l’ami d’enfance cité précédemment souffre lui aussi du fait d’être célibataire. Ce que les personnages cachent, c’est justement ce mal insidieux qui ronge Brainerd, ville dont les deux mots la composant présagent déjà la fin du film. À la toute fin, la neige continue de tomber, recouvre les corps, et la vie continue sa sinistre routine.

Fargo de Joel Coen et Ethan Coen, 1h37, avec William H. Macy, Frances McDormand, Steve Buscemi – Sorti en 1996

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