Au hasard Balthazar, Robert Bresson (1966)
On m’avait dit qu’Au hasard Balthazar de Robert Bresson était une histoire déchirante qui pouvait susciter des émotions même chez les spectateurs les plus fatigués. À la fin, je suppose que je leur ai prouvé qu’ils avaient tort puisque le film m’a laissé froid tout du long. Mais je comprends. Cette représentation métaphorique du christianisme par le biais des sept péchés capitaux est construite de manière à exiger une réaction. Les tragédies se succèdent alors que les hommes refusent de voir l’erreur de leur entêtement et de leur méchanceté avant de laisser les deux créatures les plus innocentes de cette ville rurale frontalière française près des Pyrénées complètement vaincues avec apparemment aucun chemin de retour vers les espoirs et les rêves idylliques de la jeunesse.
Bien que Bresson réalise le film avec brio et que la photographie soit indéniablement magnifique, je n’ai trouvé aucun moyen de m’accrocher. On ne peut pas regarder le film sans éprouver de la peine pour le sort de Marie (Anne Wiazemsky), mais le scénario n’a aucun intérêt à nous faire croire que les choses pourraient changer. À partir du moment où l’on nous fait croire qu’elle a été violée par Gérard (François Lafarge) et qu’elle a ensuite été confiée à son gang pour être utilisée, maltraitée et finalement jetée, l’ensemble devient du trauma porn. Quel homme sera le prochain ? Quel homme la verra comme un objet à manipuler, comme un outil pour ses besoins, comme le Balthazar titulaire souvent maltraité ? Combien de temps encore son père orgueilleux et sa mère anéantie peuvent-ils supporter ? Bresson a une réponse.
Est-elle profonde ? Pas vraiment. Prenez cela avec des pincettes, étant donné que je le regarde plus de cinquante ans après sa sortie, mais je ne le vois pas. Peut-être que cela en dit plus sur moi. Peut-être que je suis trop blasée pour aller sous la surface et trouver quelque chose ici que je n’ai pas déjà trouvé devant moi quotidiennement. La misogynie. L’abus insensible. Le droit à l’erreur. Jean-Luc Godard n’avait pas tort lorsqu’il a dit que ce film était “le monde en une heure et demie”. Je n’avais tout simplement pas besoin de le voir. Je n’avais pas besoin de faire semblant de ressentir sa souffrance, comme si le fait de la ressentir ne m’avait pas déjà insensibilisé à son omniprésence.
Je ne vais pas mentir et dire que l’utilisation d’acteurs non professionnels n’aide pas non plus. Il se passe souvent quelque chose que les personnages acceptent simplement et passent à autre chose. Marie dit à Jacques (Walter Green), son amour de jeunesse, qu’elle veut en découdre avec son violeur et sa bande avant de commencer une nouvelle vie avec lui, et il fait demi-tour de manière robotique pour la laisser faire par elle-même, bien qu’il soit le seul à savoir exactement ce qu’ils lui ont fait. Tout le film est guindé de cette manière. Comme s’il savait qu’il devait prendre des libertés avec les émotions de ses personnages pour manipuler celles de son public. Je n’ai pas réussi à embarquer. Faire semblant n’était pas suffisant.
Ainsi, si je peux objectivement comprendre pourquoi Au hasard Balthazar est vénéré comme l’un des plus grands films jamais réalisés, je ne peux pas subjectivement reconnaître qu’il m’a fait ressentir quelque chose que je ne ressentais pas déjà sur la futilité et les horreurs de l’humanité. En fait, il m’a fait ressentir moins de choses que je n’en ressentais déjà, compte tenu du fait que l’âne constamment abattu est notre substitut qui regarde le monde révéler sa véritable nature. Parce que si nous sommes censés croire qu’il est un saint pour avoir tout enduré et témoigné, cela signifie que nous le sommes aussi. Et si c’est le cas, je ne veux rien avoir à faire avec la sainteté. Accepter le destin cruel qui veut que les meilleurs d’entre nous meurent tragiquement tandis que les pires fuient la responsabilité de leurs actes est ce qui nous a mené ici. Je ne vois pas de beauté dans ce genre de martyre. Je vois l’échec.
L’artisanat est donc irréprochable. Bresson fait avancer le film à toute allure, le temps progresse de manière fluide grâce à des indices contextuels, sans qu’il soit nécessaire de ralentir pour l’exposition. Nous savons qui détester et qui plaindre (Marie et Balthazar sont un peu seuls) et où se situe la limite entre les deux avec des personnages plus compliqués comme Arnold (Jean-Claude Guilbert). Le fait que tout soit fourni de manière aussi succincte a toutefois renforcé mon sentiment d’être tenu à distance. Le scénario est si évident dans ses intentions et si prompt à passer à l’étape suivante qu’il est difficile d’aborder le sujet autrement que par pragmatisme. Ce n’était tout simplement pas pour moi, mais je suis heureux qu’il le soit pour la plupart des gens.
Au hasard Balthazar, drame de Robert Bresson, 1h36, avec Anne Wiazemsky, Francois Lafarge, Philippe Asselin,….
Au hasard Balthazar disponible en VOD, DVD et Blu-ray.
EO, Jerzy Skolimowski (2022)
Puisqu’il s’agit d’un hommage à Au hasard Balthazar, je ne dois pas m’étonner de me trouver aussi peu enthousiasmé par EO de Jerzy Skolimowski. Cela ne veut pas dire que leurs comparaisons et leurs contrastes existent sur une base individuelle, cependant. Ce sont en fait des films très différents. Mais pour chaque différence (faire de l’âne titulaire le personnage principal plutôt qu’un simple voyeur destiné à retrouver sa Marie chérie), on se rend compte que l’on en dit encore moins. Car si une métaphore sur le christianisme a été remplacée par une déclaration ouverte affirmant que “la viande est un meurtre”, les séquences qui transmettent ce message sont tellement décousues et conclues de façon si abrupte qu’il est difficile de s’y intéresser au-delà de leur capacité cumulée à faire avancer l’aventure d’EO.
Nous le retrouvons aux anges avec sa partenaire de cirque Kasandra (Sandra Drzymalska) juste avant qu’un mandat du gouvernement contre la “cruauté envers les animaux” ne confisque tous les animaux de spectacle. Tous deux sont dévastés. Tous deux ont perdu leur meilleur ami, leur monde. Pourtant, Kasandra peut aller de l’avant. Elle peut enfourcher la moto de son petit ami et partir vers une nouvelle vie avec rien d’autre que la tristesse du souvenir de ce qui allait inévitablement hanter ses rêves. À l’inverse, EO est contraint de passer d’une forme d’incarcération à une autre, comme si cette dernière était en quelque sorte plus “humaine” que la première. Et peut-être que le nouveau travail qu’il est censé accomplir est celui de star d’un zoo pour enfants. Mais ce n’est pas le cas. C’est un travail difficile sans l’amour de Kasandra. La peur et l’anxiété s’installent.
C’est ça la leçon ? Peut-être. Peu importe que Vito (Lorenzo Zurzolo) le sauve du bord de la route s’il ne peut pas ensuite lui fournir un foyer qui ne le mènera pas à sa mort. Vito admet même qu’il a déjà mangé du salami à base de viande d’âne (la deuxième référence à la saucisse dans le film), donc sauver EO ne signifie pas nécessairement grand chose en termes de karma à petite échelle. L’âne ne donne pas non plus un coup de sabot à la tête d’un homme qui tue des petites créatures pour leur peau. Pas plus qu’une équipe de football mécontente qui frappe EO avec des battes parce qu’il a osé faire un bruit quand l’un d’eux était sur le point de marquer un penalty. Tout est aléatoire. Tout se produit en croyant qu’il possède une profondeur incommensurable. Et peut-être que c’est le cas.
Malheureusement, comme Balthazar, EO n’était pas pour moi. Le travail est louable, avec une photographie grand angle exquise et de superbes stroboscopes rouges parsemés un peu partout, sans oublier le groupe d’ânes jouant le rôle principal avec un sens de la posture adorablement anthropomorphisé, créé uniquement par la composition. Il y a des moments très drôles, quelques chocs indéniables et juste assez de douceur pour que je m’attache à EO, même si je reste sur ma faim lorsque l’écran devient noir. Car si l’ensemble est agréable, il est aussi éphémère. Les personnages vont et viennent au gré des pérégrinations d’EO. On ne leur accorde pas d’importance par la suite (à part Kasandra) et, honnêtement, je ne me soucie pas vraiment de son existence. Je suis content d’avoir vécu le voyage, mais c’est tout.
EO, drame de Jerzy Skolimowski, 1h29, avec Sandra Drzymalska, Tomasz Organek, Mateusz Kosciukiewicz,….
EO au cinéma le 19 octobre 2022.