S’inscrivant dans le “shomingeki” – théâtre néo-réaliste japonais sur la classe moyenne -, Déménagement est l’œuvre de Shinji Sômai contant le refus d’une petite fille à accepter le divorce de ses parents. Dans une optique de réinvention de genre donc, après Ozu et Naruse, le réalisateur livrait une œuvre toute à la fois douce et poétique. Pour la première fois en salles, Déménagement bénéficie de la restauration du Festival de Venise 2023.
Sômai traite de la jeunesse en filmant le rapport de la jeune Ren à ses camarades en apprentissage, et les adultes, ici marqués par la parenté et l’écart de générations. A ce titre, elle commence à prendre du recul en percevant les difficultés à faire le deuil par des personnes âgées sur leur enfant. Il s’agit de construire une prise de conscience progressive, l’enfant réagissant avant tout par ses instincts premiers en réaction à ses émotions et sentiments. Les scènes filmées en caméra portée suivent les prises de décision du personnage, parfois en plan-séquence, attestant de cette fougue et colère qu’il est difficile de maîtriser à la fois par Ren et ses parents.
Exacerbé dans la dernière séquence du long-métrage, l’onirisme sous-jacent se développe au fur et à mesure des échecs du personnage à tenter de faire évoluer les choses, d’annuler le divorce. En ce sens, Déménagement alterne entre deux perspectives : celle de Ren et ses parents, parce qu’il n’y a pas d’autre échappatoire pour l’enfant que de revenir vers eux. L’acceptation du personnage passe par les félicitations, comprenant qu’il faille penser au-delà de ses besoins personnels. Le film commence d’ailleurs par une scène de dîner silencieuse, où les mots peinent à se faire entendre.
Comment faire semblant quand le divorce devient évident ? La situation est toute aussi tragique pour l’enfant que ceux qui l’élèvent, les adultes souvent filmés dans des boîtes, à la maison ou en entreprise car livrés à eux-mêmes pour solutionner des problèmes. Quand Ren s’enferme dans la salle de bain, la détresse de la mère abandonnant le combat pour raisonner sa fille passe par un acte violent. Avant cela, l’élève giflait une autre de colère. Il ne s’agit pas de placer l’enfant au-dessus de ses parents ou inversement, c’est le foyer familial qui souffre entièrement d’un quotidien perdu.
La cérémonie rêvée de l’enfant en fin de film, illustre un effondrement d’une structure préétablie en pleine mer. Ren ne décide plus de fuir, observe attentivement le déséquilibre qu’elle avait refusé de constater. Si le déménagement consiste à changer de domicile, le titre renvoie à la difficulté pour l’enfant à s’adapter à une nouvelle situation. Par le fait du divorce, ce sont les normes sociales qui font pression et tout le vécu d’un enfant qui doit devenir adulte. Il faut mettre de la distance avec qui elle était, sans se perdre. Hirokazu Kore-eda considérait Shinji Sômai comme le meilleur cinéaste de sa génération, il va sans dire que leurs cinémas respectifs partagent les mêmes aspirations à redéfinir les rapports humains entre âges différents, partageant pourtant des dilemmes semblables. Dans Typhoon Club (1985), le cinéaste déployait sa mise en scène sur la prise de pouvoir d’adolescents sur leur environnement. Prêts à la révolte, et à commettre des actes terribles, ils finissaient seuls sous la pluie dans leur bouleversement identitaire. Laissés sur place en larmes, ils n’avaient plus que la ville devant eux. L’enfant de Déménagement voit l’espace urbain comme un champ de possibilités, la mise en scène l’accompagnant à ses côtés en refusant l’approche statique, c’est d’ailleurs Ren qui décide de faire la rencontre ou pas de ses proches.
Dans un souci premier de réalisme, le film dérive sur un symbolisme prononcé, jusqu’au double-enfant un poil inutile. Cela n’était effectivement pas nécessaire dans la mesure où les éléments du registre poétique ne sont que de vastes coïncidences intervenant dans la réalité, comme le feu ou les cendres. Mais il serait fâcheux d’omettre la pertinence de ces représentations graphiques de l’instabilité psychologique d’un enfant en transition, sur le point de devenir un autre.
Déménagement de Shinji Sômai, 2h04, avec Tomoko Tabata, Kiichi Nakai, Junko Sakurada – Au cinéma le 25 octobre 2023
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William Carlier8/10 Magnifique