[RETOUR SUR..] Carrie au bal du diable – De Palma X King

Si un auteur fantastique américain n’a plus besoin d’être présenté, c’est sans aucun doute Stephen King. Écrivain derrière de nombreux classiques, voire des futurs classiques, de la littérature contemporaine, il est également l’un des auteurs les plus adaptés au cinéma. Son premier roman, Carrie, en est un exemple marquant, ayant fait l’objet de quatre adaptations cinématographiques et de quatre versions télévisées. La plupart de ces adaptations ne rendent cependant pas justice au roman original, comme c’est souvent le cas avec King, mais l’une d’entre elles se distingue particulièrement. Comme l’indique le titre de cet article, nous parlons bien sûr de Carrie au bal du diable, réalisé par Brian De Palma.

Ce qui m’intéresse le plus dans les œuvres de King, c’est la manière dont elles critiquent l’Amérique contemporaine des années 1970 jusqu’à nos jours. De Palma l’a parfaitement compris en reprenant cet aspect pour construire la dynamique narrative de son film, qui s’en prend à la fois à l’éducation publique et religieuse. Le lycée, lieu classique des teen-movies américains, est dépeint comme le repaire de futurs tortionnaires. Cette entreprise de destruction du coming-of-age se poursuit avec le fameux bal de lycée, devenant ainsi le théâtre d’un carnage tragique. De Palma et King s’associent pour critiquer la manière dont la “civilisation” est un concept hypocrite, cachant en réalité la violence et la brutalité organisée. C’est d’ailleurs pour cette raison que la protagoniste, Carrie, incarne déjà un archétype que l’on retrouve souvent chez l’écrivain autant que chez le réalisateur : être repoussé par la majorité, modèle à la fois terrifiant et attendrissant.

Copyright Splendor Films

Ce sont des héros en marge de la société, qui observent et critiquent celle-ci de l’extérieur. Sissy Spacek incarne parfaitement ce rôle en proposant une prestation en deux temps. Dans la première partie du récit, elle suscite l’empathie du spectateur, avant de dévoiler toute la terreur qu’elle peut inspirer dans la seconde. Ce modèle reprend le grand succès horrifique de l’époque, L’Exorciste. Une autre grande source d’inspiration du film, Psychose, se manifeste dans la reprise de la bande originale par Pino Donaggio et dans les nombreux faux-semblants. Cela crée un point de rencontre entre les monstres de King, toujours à la frontière entre deux mondes, et ceux de De Palma, aux multiples facettes, représentés notamment par les multiples demi-bonnettes.

La performance de l’actrice est renforcée par les choix de mise en scène de De Palma, comme nous allons le voir. Le roman alterne entre de nombreux types de points de vue, avec des comptes-rendus postérieurs, des extraits de romans, des fichiers médicaux, des retranscriptions d’enregistrements vocaux, des interviews, et même des articles de journaux. L’objectif est donc de combler tous les trous narratifs en même temps pour créer un effet de suspense, ce qui efface partiellement Carrie dans la première partie du récit. L’avantage est que le lecteur sait qu’une chose horrible va se produire, créant ainsi une tension constante. De Palma s’écarte de ce modèle pour adopter un scénario plus classique, sans allers-retours dans le temps, avec pour point de vue principal celui de la jeune femme.

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Ces choix de cadrage reflètent cette intention en positionnant la protagoniste souvent au centre de l’image et toujours au premier plan. Le réalisateur modifie ainsi les enjeux, passant de la question de ce qui va arriver à la ville à celle de ce qui va arriver à la jeune fille. Cette évolution se ressent dans le climax, centré sur l’affrontement entre Carrie et sa mère, évoquant un combat biblique. La destruction de la ville est donc en partie effacée pour rester fidèle à la vision du réalisateur. C’est là que le film se distingue comme l’une des meilleures adaptations de King, car il conserve le fond tout en adaptant la forme à son nouveau médium. Un autre point de convergence entre King et De Palma réside dans les décors, notamment la maison hantée où grandit Carrie. Dans les années 1970, c’était une grande obsession de King, qui recréait ces mêmes territoires avec Salem et sa bâtisse abritant un cruel vampire, ainsi qu’avec Shining et l’hôtel infesté de fantômes. De Palma s’empare de ce thème en le transposant à la demeure de Carrie, renforçant ainsi l’aura des rencontres avec sa mère.

Alors que de nombreuses adaptations de Carrie ont tenté en vain de réitérer l’exploit, seule la version de 1976 demeure dans les annales. La raison en est relativement évidente : le film se situe au croisement de ce que De Palma et King faisaient et étaient dans les années 1970. Ce personnage rejeté, suscitant à la fois la pitié et la peur, correspond exactement à ce que recherchait le réalisateur avec Sœurs de Sang (1973) et Phantom of the Paradise (1974), tandis que pour l’auteur, cela deviendra une marque de fabrique dans les années suivantes avec Salem (1975), Shining (1977) et Dead Zone (1979). Le croisement de ces deux artistes est un heureux hasard de l’époque, difficile à reproduire de nos jours. C’est aussi cela, le cinéma : de beaux hasards qui donnent naissance à de grands films.

Carrie au bal du diable de Brian de Palma, 1h38, avec Sissy Spacek, Piper Laurie, Amy Irving – Sorti en 1977

8/10
Note de l'équipe
  • Enzo Durand
    7/10 Bien
  • Louan Nivesse
    9/10 Exceptionnel
  • Cécile Forbras
    7/10 Bien
  • William Carlier
    10/10 This Is Cinema
  • Vicent Pelisse
    7/10 Bien
  • Jeremy Mahieu
    9/10 Exceptionnel
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