Pour fêter la sortie du Dernier Voyage du Demeter d’André Øvredal, retour sur ce cinéaste norvégien que nous affectionnons tant. Sa filmographie ne commence véritablement qu’en 2010 avec Troll Hunter, un found footage malin qui suit un chasseur de trolls, dans la Norvège de nos jours. Ce film révèle tout le talent du réalisateur, et surtout il le fait exploser à l’international. C’est d’ailleurs pour cela qu’il réalise ensuite deux films aux Etats-Unis avec The Jane Doe Identity en 2016 puis l’adaptation de romans de jeunesse Scary Stories en 2019. Cette continuité de films fantastiques, ou d’horreurs, inscrivent donc durablement André Øvredal dans ce genre, et c’est pour cela que ses deux films suivants sont des longs-métrages de genre. En 2020 il réalise donc Mortal, l’histoire d’un ado américano-norvégien, qui se retrouve dotés de pouvoirs mystérieux. Puis enfin, cette année, l’adaptation de l’un des chapitres de Dracula : la traversée sur le Demeter. Maintenant que les présentations sont faites avec l’univers horrifique de ce cinéaste il est temps d’entrer dans les ténèbres norvégiennes pour explorer tout cela.
Avec The Troll Hunter, André Øvredal réutilise donc des concepts classiques et usés de l’horreur en les mélangeant à de la grammaire cinématographique contemporaine. En l’occurrence ici c’est donc le film de monstres, plus précisément de trolls, qu’il modernise par le found footage. C’est une méthode qui permet de rendre hommage à une partie de son patrimoine qu’il affectionne, tout en finançant des films pour un public large. Là où l’œuvre de ce cinéaste est particulièrement intéressant c’est qu’il détourne cette promesse initiale vers des horizons surprenants, et cela à chaque film. Pour The Troll Hunter le mélange entre monstres et found footage devrait tout naturellement se diriger vers de l’épouvante à la Blair Witch ou Rec. Et pourtant André Øvredal réalise plutôt une sorte de faux documentaire animalier dont le sujet principal est … le troll norvégien. C’est donc cette manière de réinventer certaines attentes cinématographiques qui fait toute la saveur de la filmographie de ce cinéaste. C’est le même schéma dans The Jane Doe Identity avec lequel il joue sur les codes et clichés de ce film d’autopsie pour révéler les traumatismes cachés de cette victime, ainsi que les divisions familiales des protagonistes. Dans Scary Stories, il adapte une saga littéraire célèbre, même chose avec le Dernier Voyage du Demeter qui adapte Bram Stoker ou Mortal qui reprend des éléments de la mythologie nordique. L’objectif est de prendre des éléments communs pour un public large pour justement jouer avec ses attentes, et donc le surprendre.
The Jane Doe Identity révèle au cours du film que la Jane Doe en question serait une sorcière, probablement brulée à Salem, qui exercerait ainsi sa vengeance. Dès cet instant le film prend une tournure plus complexe, en insistant sur la faute qu’aurait commis un état sur ses citoyens et citoyennes. Cette idée n’est pas issue d’une surinterprétation puisqu’elle se retrouve dans toute la filmographie d’André Øvredal. Dès The Troll Hunter, avec ses mystérieux agents qui font disparaitre les étudiants, on trouve les traces d’une culpabilité étatique, que le réalisateur rend responsable de divers malheurs. Même dans son court-métrage Tunnelen on comprend que tout cela est un piège gouvernemental pour réduire la population. Dans Mortal, il y a bien sûr l’intervention de divers agents américains, et dans Scary Stories (pourtant destiné aux plus jeunes) il y a une surabondance de références à Nixon et la guerre du Vietnam. Les films du réalisateur regorgent de cette intention politique visant à dénoncer l’interventionnisme américain, ou en tout cas gouvernemental, dans le monde. Pourtant André Øvredal se trouve dans une position paradoxale puisqu’il produit ses films, en partie, aux États-Unis.
A travers ses longs-métrages le réalisateur s’est donc construit un lien solide avec l’outre-Atlantique. Il à même adapté l’une des sagas les plus connues aux Etats-Unis, alors pourquoi dénigrer autant ce même pays ? Tout simplement car André Øvredal, en jouant sur les codes et en dénonçant l’expansionnisme américain, tente de reprendre le contrôle sur certaines légendes. C’est d’ailleurs pour cela qu’avec The Troll Hunter il remet au goût du jour cette créature, largement modifiée par les productions occidentales. Même chose avec Mortal o% il réinterprète certains mythes nordiques pour justement ne pas les laisser uniquement aux américains qui en font… Thor: Love and Thunder. Les mythes et légendes adaptés sont à l’image des corps que l’on observe dans la filmographie d’André Øvredal : en perpétuel changement. Tout comme le Dracula de son dernier film qui évolue petit à petit pour récupérer sa force vitale ou la fameuse Jane Doe dont le corps est modifié à de multiples reprises. Et tout comme le protagoniste de Mortal, un américano-norvégien d’ailleurs, qui souhaite garder le contrôle sur son corps, André Øvredal tente de revenir à l’origine de certains mythes fondateurs de la culture nordique. Or comme on le voit avec ses films : le body-horror est inarrêtable, le changement finit toujours par arriver. Alors le réalisateur s’adapte et met en scène lui-même le changement de ces légendes : que ce soit le troll dans un found footage ou Thor dans un Coming of Age. Il garde le contrôle à sa manière.
C’est quoi le cinéma d’André Øvredal ? Ce sont des œuvres qui à chaque fois réussissent à nous surprendre, par la direction inattendue qu’elles prennent. En mettant à jour des mythes que nous partageons tous, le réalisateur est sûr de nous surprendre tout en nous captivant. C’est d’ailleurs pour cela que son prochain long-métrage, le Dernier Voyage du Demeter, réadapte Dracula. C’est la légende la plus adaptée au cinéma, et depuis plus de 100 ans. Soit l’œuvre ultime pour un cinéaste passionné par cette évolution de nos mythes communs.
Par Enzo Durand