On oppose souvent les films d’auteurs aux simples films-commandes des studios. Comme si une commande vaut beaucoup moins, comme si elle ne serait que le fruit d’enjeux commerciaux. Pourtant il existe parfois des œuvres qui seraient a mi-chemin entre ces deux idéologies. Commandées par des studios et pourtant devenues des films d’auteurs. C’est le cas bien évidemment de l’Halloween de John Carpenter : le cinéaste américain va reprendre ce projet d’un tueur masqué pour le faire s’imprégner de toutes ses thématiques préférés. Ainsi on obtient un grand film d’horreur qui traite de la paranoïa américaine et de l’enfermement que ressentent les typiques banlieue des états unis. Et comme vous vous en doutez c’est également le cas du film que l’on va traiter aujourd’hui : Ali de Michael Mann. Un projet tout d’abord porté par Will Smith et deux scénaristes : Stephen Rivele et Christopher Wilkinson. Le film est sensé traiter de la vie entière d’Ali, de son enfance jusqu’à sa reconquête du titre de champion du monde, mais l’arrivée de Mann sur le projet va quelque peu modifier la direction scénaristique du film. En effet Will Smith et Mohamed Ali lui-même, impressionnés par Heat et Révélations négocient pour que Mann soit impliqué dans le projet, et ce dernier accepte à la condition de pouvoir réécrire le scénario. C’est ainsi que ce qui aurait pu être un film biographique basique va se transformer en quelque chose de différent.
Ali ne répond à aucuns codes du genre ou plutôt il répond à des codes de plusieurs genres cinématographiques différents. Un exemple sera surement bien plus parlant alors dans cette introduction alors parlons du prologue du film. La séquence d’ouverture mélange les époques et les lieux pour créer immédiatement un portrait complet du protagoniste : Mohamed Ali. En quelques minutes on comprend l’importance du mouvement des droits civiques pour Ali mais également le rôle majeur qu’a la religion dans sa vie. Cette technique est l’un des codes du biopic qui revient le plus souvent, on a pu l’observer encore récemment avec Elvis de Baz Luhrmann qui se sert de ses vingt premières minutes au rythme fou pour introduire le caractère de ses personnages principaux. Dans la même séquence Ali va utiliser quelques légers codes du film de boxe tout en laissant de côté la plupart des clichés habituels : ici la compétition n’est pas l’objectif principal d’Ali, le milieu de la pègre habituellement très représenté dans ce genre de films est complétement absent et pour finir, les combats de boxe ne sont pas si importants que ça pour l’intrigue. Ce qui a vraiment de l’impact, outre les poings de Will Smith dans le visage de ces adversaires, ce sont surtout les évolutions d’Ali durant ces combats. La victoire n’est que le dernier de ses objectifs, alors nous pouvons nous demander en toute logique quel est le premier des buts d’Ali ? En répondant à cette question nous comprendrons donc pourquoi ce film est une des œuvres majeures de Michael Mann.
Mohamed Ali a été une inspiration pour un grand nombre de personnes sur cette planète, moi y compris. C’est à la fois un des plus grand, si ce n’est le plus grand, boxeur de tous les temps. Et c’est également une icône afro-américaine importante s’étant notamment illustrée dans le mouvement des droits civiques. Mais la raison générale pour laquelle Ali est un exemple à suivre c’est sa volonté inébranlable de protéger son libre arbitre quoi qu’il en coûte. Ici nous parlerons à la fois du film de Mann mais également d’Ali en tant que personnage historique. Il est à la fois personne et personnage, quand on repense à son parcours il devient évident d’en faire une figure du cinéma mannien. Son engagement religieux et politique, qu’il va suivre au détriment de sa carrière, en est l’exemple le plus parlant. Ali n’a jamais cessé de courir après un unique objectif : la liberté, comme tout les héros du cinéma de Michael Mann. Il s’est extirpé métaphoriquement des chaines de l’esclavage en abandonnant son ancien nom Cassius Clay, qu’il considérait comme un rappel constant de l’esclavage et de la ségrégation : « Cassius c’est un nom d’esclave et je suis un homme libre ». Une liberté qui guide chacuns des pas du jeune champion. Il se renomme ainsi Mohamed Ali en rejoignant l’organisation « House of Islam » en tournant le dos à Malcom X, cet événement renforcera la réputation d’électron libre du jeune boxeur. En tant qu’objecteur de conscience il reste fidèle à ses convictions contre la guerre au Vietnam, et s’oppose publiquement contre l’intervention américaine : « aucun Viêt-cong ne m’a jamais traité de sale nègre. ». En restant fidèle a sa morale Ali se met à dos une partie des Etats-Unis et va devenir une figure extrêmement controversée. Mais surtout il va vivre une réelle traversée du désert : la justice américaine lui retirant tout ses titres de boxe. Et c’est la que le film de Michael Mann devient particulièrement intéressant, la plus grosse partie du film se déroulant durant cette traversée du désert, il ne s’intéresse pas particulièrement aux victoires du champion mais surtout a la manière dont celui-ci va rester libre malgré les pressions.
La liberté c’est le point commun entre tout les héros manniens, c’est parfois même l’unique élément qui les définit. Ali X Michael Mann était une évidence quand on remarque à quel point l’histoire du boxeur est une concentration des thématiques parcourant l’œuvre du cinéaste. Tout d’abord le film livre une critique acerbe de l’histoire des Etats-Unis en parcourant une décennie de drames, de meurtres et de violences liés au mouvement des droits civiques, a la guerre du Vietnam ou tout simplement au racisme ambiant planant sur le pays. Cette critique historique est récurrente dans le cinéma de Michael Mann, dès 1992 quand il adapte Le Dernier des Mohicans il dénonce la barbarie et la sauvagerie sur laquelle les Etats-Unis ont été fondés. Des origines qui selon le cinéaste ont commencer un cycle de violence interminable et qui poursuivront sans cesse les Américains depuis. Les mensonges et la corruption gangrènent le territoire américain comme nous pouvons l’observer dans Révélations (1999), Miami Vice (2006) ou encore plus récemment avec Public Ennemies (2009). Ainsi l’histoire d’Ali parle immédiatement à Mann, le boxeur étant une figure lumineuse dans un monde ayant sombré il y a bien longtemps. L’ensemble du cadre nous rappelle constamment à quel point les Etats-Unis sont pourris de l’intérieur, au premier plan des événements tragiques comme l’assassinat de Malcom X viennent nous choquer tandis qu’en arrière plans ce sont des journaux, des affiches, des discussions ou des télévisions allumées qui viennent insidieusement rappeler la noirceur de ce monde. Le champion dénote complétement avec ce qui l’entoure, il est flamboyant et vient sans cesse montrer sa différence. Son style ce combat, entre danse et boxe et ses discours, entre rimes et messages importants, font de lui un être rendant son monde meilleur.
Dans sa quête de liberté spirituelle et morale Mohamed Ali s’oppose frontalement au gouvernement des Etats-Unis. Un propos que l’on retrouve de nombreuses fois dans la carrière de Mann, où les hommes doivent être seuls pour atteindre leurs objectifs. La plupart des héros manniens sont des criminels : Frank (James Caan) dans le Solitaire est un cambrioleur souhaitant raccrocher, Neil (Robert de Niro) dans Heat est un braqueur expérimenté prêt a prendre tout les risques pour un dernier coup, Vincent (Tom Cruise) dans Collateral est un tueur à gages au cœur de glace, John Dillinger (Tom Cruise) dans Public Ennemies est un gangster qui va tout risquer pour survivre quelques années de plus tandis que Nicholas Hathaway (Chris Hemsworth) est un hacker légendaire qui va devoir sortir de l’ombre pour se repentir. Tout ces héros manniens viennent d’horizons différents et ont des objectifs divers, pourtant dans leurs quêtes respectives ils vont tous devoir affronter l’état américain. Cette opposition frontale signifie à une double signification dans son cinéma : tout d’abord une critique de son gouvernement. Mais surtout elle vient rappeler une idée chère à Mann et que je ne partage pas : il faudrait être seul pour être libre. Les protagonistes de son cinéma sont des loups solitaires, sans attaches ou refuges. Les rares relations qu’ils ont sont des fardeaux qui les mettent en danger (Collateral, Heat, Public Ennemies et Manhunter notamment). Du coup pour nous faire accepter sa théorie dans son film biographique sur Ali, le cinéaste va quelque peu modifier la réalité en éludant un grand nombre de personnages, ou en réduisant leurs rôles au maximum. Les femmes de la vie d’Ali notamment sont mises en arrière plans, même chose pour ses managers. Le réalisateur transforme la figure de Mohamed Ali pour en faire un archétype du solitaire. Il s’éloigne de la réalité historique pour en construire une figure de cinéma. Cela se remarque notamment dans les dernières secondes du film. Ce qui fut dans la réalité un grand moment de joie et de communion devient ici légèrement autre chose : Ali est seul au milieu de la foule, sa silhouette se détachant nettement de celles des autres personnages. La signification est très simple : ici l’objectif n’était pas seulement d’atteindre la victoire, mais de réussir en étant seul. Donc libre.
Ali est souvent considéré comme un film mineur de Mann, alors que celui-ci contient en vérité les thématiques les plus importantes de son travail. Je ne peux que vous conseiller de découvrir ou de redécouvrir ce film, de lui laisser une seconde chance. Et si ce dernier combat vous a intéresser alors n’hésitez pas à aller voir le documentaire When We Were Kings de Leon Gast, qui porte justement sur cet affrontement entre Ali et Foreman. Un documentaire qui a obtenu l’oscar en 1997, probablement l’une des récompenses les plus méritées qu’est donner l’académie. C’est quoi le cinéma de Michael Mann ? C’est un cinéma qui « vole comme un papillon et pique comme une abeille », un cinéma aussi libre que Mohamed Ali.
Ali disponible en DVD et Blu-ray