New York, fin des années 70. Carlito Brigante, truand, sort de prison après 5 ans et décide de se ranger pour commencer une nouvelle vie. Dès lors, inévitablement, le monde dans lequel il a grandi refait surface et étouffe son rêve.
Après son passage important à travers le Nouvel Hollywood (Sœurs de sang, Phantom of the paradise…) et sa quête du prolongement de la forme hitchcockienne (Obsession, Pulsions et Body Double), Brian De Palma décide de pointer du doigt l’échec de la communauté américaine. On peut l’apercevoir dès Outrages, qui dénonce toute la bêtise et la cruauté de l’Amérique, en passant par Le Bûcher des vanités, et bien évidemment, en 1993, Carlito’s Way – L’Impasse, en français.
Parce qu’au fond, Al Pacino dans ce film tente peut-être d’échapper à ses carcans, mais essaye également de réintégrer la communauté américaine, celle à laquelle il doit s’associer pour réussir son détachement, se constituer un foyer sûr avec la femme qu’il aime.
Le long-métrage commence à la manière de Billy Wilder avec Assurance sur la mort, où De Palma décide de commencer sur la condamnation de son personnage. Dès cette introduction, on se rend compte qu’il n’est plus question de l’emphase formelle à laquelle le réalisateur nous a habitué, notamment lors de sa période hitchcockienne. L’Impasse est de nature plus sobre mais pas moins sophistiquée dans son dispositif esthétique. Le rouge éclatant écrasant Pacino sous le poids de la fatalité, les longs plans-séquence à travers la boîte de nuit, la dernière longue scène au sein de la gare où l’acteur bouge “comme un félin”, disait Brian De Palma…
Mais c’est bien sûr grâce au montage que le spectateur est berné. Malgré l’évidence de la trajectoire qu’emprunte Carlito Brigante, la science du découpage (dès que la séquence introductive est terminée) nous emmène vers un espoir : Gail, magnifiquement interprétée par Penelope Ann Miller. Dès qu’Al Pacino croise son regard, il ne peut échapper à ce puissant désir d’aller reconquérir celle qui a gagné son cœur autrefois. Elle n’y échappe pas non plus d’ailleurs, et le film, via des morceaux de romantisme filmés sans cynisme, trouve de part et d’autre la forme adéquate pour montrer la femme comme une possible résolution de la narration. Il faut également souligner la justesse des autres rôles secondaires, en particulier celui de Sean Penn, méconnaissable en avocat cocaïné, et qui se révèle être l’absolu point cardinal de la trahison que subit Carlito.
D’un point de vue formel encore, l’utilisation des plans débullés (un des gimmicks de De Palma), notamment lors des scènes de dîner où Pacino est confronté à Benny Blanco autant que le passage avec Viggo Mortensen, dessine les contours des rapports de force entre les individus et finit par raviver le passé de son personnage alors qu’il a la volonté de s’en défaire. Tous ces éléments forment en parfaite symbiose la tragédie qui s’offre à nous, spectateurs. Le destin de Carlito, funèbre, passant par un torrent maniériste qui reprend la ligne du film noir classique autant que la figure du gangster, enterre à sa manière tout un pan du cinéma Depalmien. L’Impasse est sans aucun doute un long-métrage pivot dans la carrière de son réalisateur, et très probablement son film le plus romantique et mélancolique.
L’Impasse de Brian De Palma, 2h23, avec Al Pacino, Sean Penn, Penelope Ann Miller – Sorti le 23 mars 1994 et disponible sur Filmo