Yannick est le nouveau film-surprise de Quentin Dupieux. Promotion en urgence, à quelques semaines de la sortie, c’est un moyen de créer au contraire une drôle d’attente pour cette comédie d’à peine une heure dix. Le pitch est simple, mais terriblement efficace. Une pièce d’un théâtre de boulevard est interrompue par un homme, Yannick (Raphaël Quenard), qui trouve les comédiens (notamment Pio Marmaï et Blanche Gardin) particulièrement médiocres. Il exige donc de rencontrer le metteur en scène, absent, et face aux moqueries des acteurs il décide tout simplement de… prendre la salle en otage. S’ensuit des débats sur l’art, quelques discussions avec le public, et surtout une seconde représentation, écrite par Yannick, que les comédiens sont forcés de jouer. L’ensemble est donc un huis-clos, étonnamment vaste, dont Dupieux explore les territoires avec humour et même émotion.
Par son concept, huis-clos méta et théâtral, Yannick est donc le film le plus bavard de la filmographie de Quentin Dupieux. Pourtant, derrière les habituels dialogues absurdes et comiques de ses films, le cinéaste explore plus que jamais les fractures sociales de la France. Si Yannick interrompt la représentation c’est tout d’abord car il ne considère pas le théâtre comme de l’art mais comme du divertissement, énième débat sur la mise en scène que l’on peut déplacer vers le cinéma. Mais cette division se ressent aussi dans l’origine de Yannick, qui a dû faire « 45 minutes de transports puis 15 minutes à pied ! », comme il aime le répéter, pour venir de Melun à Paris. Il vient donc bousculer les conventions parisiennes et les habitudes grammaticales, notamment avec l’incompréhension d’un certain vocabulaire soutenu ou la répétition d’expressions populaires. Loin d’un mépris sur les catégories populaires, Dupieux au contraire, humanise beaucoup son personnage en caricaturant plutôt les acteurs, tel que le personnage de Pio Marmaï en acteur hautain et moqueur. Pourtant, même ce dernier n’est pas dans un cadre uniquement manichéen, et trouve la raison de son mépris dans un manque de reconnaissance.
Dupieux jette donc le flou et sème le doute sur l’ensemble de ses personnages dans un chaos organisé. Au sein de ce lieu immobile par nature, théâtre et huis-clos, il va créer grâce au mouvement de Yannick une dissection de ce lieu, et de la société française. Le changement apporté par ce personnage, semeur de désordre, met en lumière une fracture entre le public et la scène. Celle-ci sert finalement à révéler de multiples divisions à l’intérieur de ce même public. Dupieux étudie le rapport entre la scène et les spectateurs, celui entre l’art et les artistes, entre les nombreuses personnes d’origines et d’horizons différents qui se retrouvent toutes et tous dans cette même salle. Le réalisateur est, pour la première fois depuis longtemps, touchant sur le regard qu’il jette sur cette foule. Et notamment sur le personnage de Yannick tour à tour drôle, terrifiant, et surtout émouvant. Le film se conclut d’ailleurs sur le regard larmoyant de Yannick, qui se décrit comme un homme en « mal d’amour ». Probablement le plan le plus beau et triste de la carrière du cinéaste. Si les plans larges effacent tout d’abord le protagoniste, le film finit par lui donner le premier rôle ainsi que des gros plans. D’un figurant, il devient ensuite le titre du film.
C’est quoi le cinéma de Quentin Dupieux ? Difficile de tracer un schéma clair de ce qui compose la filmographie de ce réalisateur, tant ses périodes américaines et françaises sont différentes. Même dans ses œuvres les plus récentes on observe des cycles qui comprennent eux-mêmes différentes méthodes de travail, et donc des résultats hétérogènes. Si vous aimez le cinéma de Dupieux nous vous recommandons volontiers ce nouveau long-métrage qui reprend donc l’humour absurde dans un cadre sérieux (une prise d’otage qui peut très vite tourner à la violence). Ce dernier se démarque pourtant de bien des films de Dupieux par la très forte émotion qu’il dégage. En seulement une courte heure le réalisateur brosse le portrait d’un homme-miroir d’une société, Yannick, et donc de ses malheurs. En sortant vous connaitrez tout des états-d’âme de Yannick, que ce soit son aversion pour les chats, son temps de trajet depuis Melun, son manque d’amour ou encore son amour pour le divertissement qui « donne du baume au cœur ». Dupieux prouve pourtant que l’on peut faire de l’art qui réchauffe les cœurs. Rassembler en dissertant sur les divisions, c’était donc ça le pari réussi du cinéaste.
Yannick de Quentin Dupieux, 1h07, avec Raphaël Quenard, Blanche Gardin et Pio Marmaï – Sorti le 2 août 2023 au cinéma