[CRITIQUE] When the Light Breaks – L’autoroute perdue

Dans nos souvenirs se dessine invariablement le tracé de Lost Highway, cette longue voie asphaltée où les lignes jaunes filent à une allure si frénétique qu’elles nous ensorcellent autant que les protagonistes de l’histoire. Cependant, dans When the Light Breaks, le réalisateur islandais Rúnar Rúnarsson subvertit habilement cette influence pour narrer une réalité plus ancrée. Après une conversation entre amants, au bord de l’océan, sous un crépuscule orangé évoquant celui de Waves de Trey Edward Shults, surgit un long plan, dans un tunnel, où les lueurs célestes qui éclairent la voie se succèdent dans un rythme discordant, loin des linéaires jaunes de Lynch. Cette dissonance dans l’alignement, ponctuée de noirceurs entre deux éclats, esquisse déjà le voyage émotionnel d’Una (Elín Hall), qui nous attend au détour. Ce plan, peu à peu, se resserre vers la route pour capturer, en son cœur, la sortie du tunnel, soudainement inondée par un soleil qui éclate : le silence, puis le titre. Ainsi se révèle la trame narrative principale, suscitant en nous une impatience fiévreuse à l’idée d’atteindre cet éclat tant attendu.

Copyright Sophia Olsson

Dans ce tunnel, suite à l’explosion, Una perd son compagnon, amorçant ainsi un récit empreint de deuil où sa douleur intime se fond de manière inattendue dans le collectif. De l’obscurité émane une lumière réconfortante, où le crépuscule introductif cède la place à la nuit, à l’inconnu, à cette pause de la lumière éponyme. Comment raviver la flamme de ce briquet défaillant ? En échangeant, en accordant une place au groupe. Il ne faut pas se laisser submerger par la solitude, omniprésente dès que notre protagoniste entre en scène, souvent éloignée des autres alors même que l’image dévoile toujours des individus environnants en premier plan comme en arrière-plan – le cadrage évoque parfois la précision et la symétrie de Roy Andersson. D’ailleurs, le cinéaste en joue en laissant un soupçon de place à une comédie visuelle, à un décalage, tel des passagers de bus déguisés en Teletubbies, en bananes ou, plus tard, saisi dans un plan large foisonnant de détails, un proche d’Una dansant de manière maladroite. Ce sont des clins d’œil humoristiques, ces petites lumières éparpillées dans ce tunnel mélancolique.

Il ne faut pas se méprendre, When the Light Breaks est une œuvre empreinte de mélancolie qui respecte le rythme lancinant qu’elle initie. Un rythme divisif, capable de terrasser aisément. Rúnarsson en est parfaitement conscient, n’hésitant pas à le souligner en klaxonnant, en chantant ou en faisant virevolter sa caméra jusqu’à cette réunion entre amis, dans cette demeure, où Una découvre qu’elle était la maîtresse d’une liaison de longue date que son défunt compagnon entretenait avec Klara, une amie du groupe, qui présente des similitudes physiques avec elle. C’est la révélation, une révélation qui éclatera dans un long plan-séquence de danse, infectant toutes les émotions du film.

Ainsi, le chagrin individuel se dissipe rapidement lorsque les deux “veuves” réalisent que leur peine est partagée. La caméra, toujours empreinte d’une douceur infinie, capture cette révélation avec une grâce inouïe dans un plan où les reflets de leurs visages se superposent à travers une vitre. C’est la conclusion qui sublime le tout. Les larmes ont leur place ici, tant que la violence reste à distance. C’est vers cette idée que s’achève When the Light Breaks, un long plan en réponse à celui du tunnel où le plafond se mue en mer, où les ampoules se métamorphosent en reflets du soleil, où l’obscurité s’efface au sein de ce crépuscule. Rúnar Rúnarsson insuffle un souffle d’espoir dans notre monde en proie à la division.

When the Light Breaks de Rúnar Rúnarsson, 1h22, avec Elín Hall, Katla Njálsdóttir, Ágúst Örn B. Wigum – Au cinéma le 18 décembre 2024

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