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[CRITIQUE] Week-end à Taipei – Le retour du Besson Show

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Par Louan Nivesse

Dans un coin de Taipei, sous des néons blafards qui peinent à dissiper la pluie, l’idée du « sauveur occidental » continue de hanter le cinéma comme une vieille légende urbaine. Un homme blanc, un flingue, un empire asiatique à renverser. La capitale taïwanaise n’a jamais été aussi vivante et pourtant, elle se retrouve figée dans un cadre où tout se joue à coup de clichés usés. L’Amérique impose ses fantasmes sur la toile, et Luc Besson y grave sa marque, encore une fois. Mais cette fois-ci, la formule a perdu son âme. Week-end à Taipei s’ouvre sur ce terrain, et déjà, le malaise s’installe.

Ce qui s’annonçait comme un film d’action haletant sur fond de mafia taïwanaise s’avère être un mirage. Le scénario de Luc Besson n’est plus qu’un fossile cinématographique, un écho désespéré à ses créations passées. Ici, un agent de la DEA en vacances, John Lawlor (Luke Evans), est happé par les fantômes de son passé amoureux, incarnés par Joey Kwang (Gwei Lun Mei), épouse malheureuse d’un baron de la drogue (Sung Kang). Le cadre est posé, et pourtant, chaque pas du long-métrage semble nous plonger un peu plus dans l’évidence et la prévisibilité. Car derrière ce décor exotique, tout sonne creux. Joey, archétype de la femme piégée, ne trouve jamais sa place dans cette histoire. Ses désirs et ses craintes sont réduits à un simple levier pour actionner les muscles de l’agent américain. Elle rêve de liberté, mais c’est John qui tire les ficelles. On la voit courir, mais sans jamais réellement fuir. On la devine puissante, mais c’est son ancien amant qui prend les devants. L’illusion d’une femme forte ne dure pas plus longtemps que la première Ferrari qu’elle délaisse dans les rues pluvieuses. En fin de compte, elle n’est qu’un accessoire dans cette machinerie rouillée qu’est l’imaginaire de Besson.

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Et que dire de John, cet anti-héros de pacotille qui traverse l’intrigue comme un automate ? Luke Evans semble en mode pilotage automatique, passant d’une scène de fusillade à une course-poursuite sans qu’une once d’émotion ne transperce l’écran. L’action, ici, est une mécanique répétitive, vidée de tout suspense, une succession de séquences chorégraphiées qui manquent cruellement d’âme. Et Taipei, ville pourtant vibrante et foisonnante, se transforme sous nos yeux en une simple toile de fond. Heureusement, les scènes d’action ne ressemblent pas à la charcuterie mal découpée de Taken 3. Ici, elles sont bien cadrées et habilement découpées, avec un savant mélange de maîtrise technique à la John Wick et de comique de situation à la Jackie Chan. Une (petite) surprise qu’on doit à l’once de talent de George Huang, mais même le meilleur chef ne peut pas rattraper un plat déjà cramé. Besson, à travers son coscénario, rejoue une partition bien trop connue : celle du sauveur blanc face aux « barbares » exotiques. Les scènes d’action s’enchaînent, les méchants tombent, mais jamais l’intrigue ne s’élève. Pire encore, elle se complaît dans ce fantasme dépassé de domination occidentale. Sung Kang, le baron de la drogue, n’est qu’une caricature de plus dans cette galerie de personnages qui auraient mérité d’être réécrits en 2024, et non restés coincés dans une cassette VHS oubliée des années 90.

Et puis il y a ces moments involontairement comiques : un enfant caché, des flashbacks de regards langoureux sous des cerisiers en fleurs, ou encore une fusillade dans un marché de nuit où tout s’effondre… sauf le scénario. Les rebondissements prévisibles défilent comme sur un tapis roulant, dans un simulacre d’émotion qui ne dupe plus personne. Une course effrénée vers le néant, où chaque explosion cache mal l’absence totale de profondeur. Alors pourquoi en parler encore ? Pourquoi essayer de disséquer ce qui ne tient qu’à peine debout ? Parce que Week-end à Taipei n’est pas qu’un échec isolé. C’est le reflet d’une certaine idée du cinéma, celle d’un Luc Besson qui, au fil du temps, a perdu son souffle créatif. C’est juste l’ombre de Besson, un fantôme qui refuse de se réinventer, piégé dans ses propres ornières. Ici, l’action dévore l’émotion et les idées originales se noient dans un océan de stéréotypes. Sa relance des productions d’Europacorp, c’est pas une révolution, juste une reproduction. L’ombre d’un monde qui s’écroule sous ses pieds, pendant que lui continue de courir, sans jamais s’arrêter. Et à la fin, même les balles finissent par manquer leur cible.

Week-end à Taipei de George Huang, avec Luke Evans, Gwei Lun Mei, Sung Kang – Au cinéma le 25 septembre 2024

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