[CRITIQUE] Veerana, The Begotten Cycle & La Légende la Forteresse de Souram (L’Etrange Festival 2023 – Jour 2)

Pour ce deuxième jour : petit voyage en Inde, puis en Russie, avant de terminer par les US avec un peu de cinéma expérimental.

VEERANA

La rétrospective d’horreur indienne que j’attendais patiemment est enfin arrivée. En tant que grand amateur du cinéma indien (en fait, des cinémas indiens), j’étais impatient de découvrir ce à quoi ressemblait l’horreur indienne, notamment celle issue de Bollywood. Le premier film au programme était donc Veerana, réalisé par Shyam et Tulsi Ramsay. Le film nous présente une histoire d’épouvante où la jeune Jasmin se fait posséder par une sorcière fraîchement décédée. Des années plus tard, cet événement entraîne une série de meurtres sanglants, tandis qu’une multitude de personnages farfelus se rassemblent dans la maison familiale.

Veerana offre ce que l’on peut attendre d’un film bollywoodien : une exagération volontaire, de nombreux effets kitschs, le tout agrémenté de musique. Il convient de noter que le film réussit, dès les premières minutes, à créer une ambiance captivante. On peut facilement faire abstraction des décors en carton du film, tant on est absorbé par la sorcière au maquillage effrayant. Cependant, ce qui pèche un peu dans Veerana, c’est qu’il tente d’englober trop de genres différents. Sur plus de 2 heures, le film oscille entre le registre humoristique et le registre horrifique, tout en développant une histoire d’amour et en insérant de la musique. Malheureusement, tous ces éléments ne s’imbriquent pas harmonieusement et finissent même par empiéter sur les bonnes idées du film. Parce que Veerana, malgré ses scènes d’horreur convaincantes, comporte également des gags réussis, en particulier ceux liés au personnage du réalisateur surnommé Hitchcock. Cependant, ces passages, pour ainsi dire, n’ont pas leur place dans le film et ne font que le rallonger. En fin de compte, Veerana est un film qui regorge de bonnes idées, avec des mouvements de caméra très amusants typiques de Bollywood, mais qui peine à trouver sa véritable identité.

Veerana de Shyam et Tulsi Ramsay, 2h15, avec Jasmin, Hermant Birje, Sahila Chaddha – Sorti le 6 mai 1988


LA LÉGENDE DE LA FORTERESSE DE SOURAM

Lors de la séance inaugurale de la carte blanche de Kirill Serebrennikov, le réalisateur a choisi de nous présenter un film d’un compatriote qui compte plus de films inachevés que de films terminés, à savoir Sergueï Paradjanov et sa Légende de la Forteresse de Souram. Paradjanov, qui a passé une bonne partie de sa vie en prison, réalise ici son premier film depuis Sayat Nova, sorti 16 ans plus tôt en Géorgie, sous une étroite surveillance pour s’assurer qu’il ne critique pas le régime en place. La Forteresse de Souram se veut porteur d’un message patriotique, soulignant l’idée que pour bâtir une grande nation, il faut parfois se sacrifier. En effet, le film suit de manière assez décousue le mythe de la forteresse, qui ne pourrait tenir que si un jeune homme beau et dévoué accepte d’être emmuré vivant à l’intérieur.

La Légende de la Forteresse de Souram rappelle, à bien des égards, les récits antiques de Pasolini, tels que Médée et Œdipe Roi, par la simplicité de ses décors désertiques et son ambiance mystique qui maintient le spectateur dans l’incertitude. Cependant, cette volonté de nous perdre dans l’histoire rapproche le film de Paradjanov d’un autre film assez excentrique de la même époque, Sur le Globe d’Argent de Żuławski. Les deux réalisateurs cherchent à raconter une histoire intemporelle, créant ainsi une atmosphère unique au sein de leur film.

Un autre aspect impressionnant de La Légende de la Forteresse de Souram réside dans la structure de son récit. Il n’y a pas de ligne directrice claire, mais plutôt une succession de scènes assemblées jusqu’à la conclusion générale du film. Cette approche est particulièrement séduisante et renforce le caractère phantasmagorique de l’œuvre, qui est décrite dans son titre comme une légende. On pourrait donc y voir un mythe traversant les âges, dont l’intégralité du récit ne nous est pas parvenue. Paradjanov construit ainsi son film de la même manière que les grands textes des religions monothéistes, avec une compilation d’histoires fragmentées sur un même thème.

Ce qui est certain, c’est que les films de Sergueï Paradjanov sont aussi rares qu’ils sont passionnants à analyser et à tenter de comprendre.

La Légende de la Forteresse de Souram de Sergueï Paradjanov, 1h30, avec Sofiko Tchiaourelli, Dodo Abachidze, Levani Outchaneïchvili – Sorti en 1985

THE BEGOTTEN CYCLE

Pour clore cette journée riche en émotions, je me suis retrouvé devant le cycle “Begotten,” comprenant trois films réalisés sur une période de plus de 30 ans par E. Elias Merhige. Polias & Blastema, Din of Celestial Birds, et Begotten sont les noms des œuvres qui composent ce cycle, réalisées respectivement en 2021, 2006 et 1989. Pourtant, bien que ces trois œuvres aient été créées sur une aussi longue période, il est difficile d’en parler de manière distincte, car le cycle lui-même prend de l’ampleur à mesure que l’on découvre chaque image qui constitue ces trois films.

“The Begotten Cycle” est un ensemble de 2 heures et 5 minutes d’images, mises en musique, sans dialogue. Polias & Blastema est décrit dans sa présentation comme un opéra cosmique, Din of Celestial Birds est un court métrage servant plutôt de transition entre les deux pièces principales, cet opéra cosmique et Begotten, qui lui, relève davantage de la poésie macabre. Si les trois œuvres me semblent difficiles à distinguer et à analyser séparément, c’est parce que ce cycle tire toute sa puissance de la séquence d’images qu’il raconte, commençant par une sorte de Genèse d’un monde pour aboutir à quelque chose de plus concret et de plus incarné.

De plus, à mesure que les images des films deviennent moins ésotériques, la musique évolue également, passant d’une sonorité presque divine et proche de l’opéra à des sons de criquets et des bruits résultants de l’action humaine. “The Begotten Cycle,” en particulier son dernier segment, pourrait déranger certains en raison de son concept unique et surtout de ses scènes macabres que Merhige prend le temps d’exposer et d’explorer sous tous les angles. En tout cas, c’est pour ce genre de film que l’Étrange Festival revêt une importance particulière, car les films de Merhige sont disponibles sur Internet, mais en qualité médiocre. Pouvoir vivre cette expérience, que l’on pourrait presque qualifier de la naissance d’un monde, sur grand écran, est une expérience unique.

The Begotten Cycle par E. Elias Merhige, comprend trois films parus en 1989, 2006 et 2021

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