Il importe de soulever d’emblée un point crucial – car nombre d’esprits sensés pourraient légitimement estimer que cela ne saurait altérer notre jugement sur un film – Une Vie, de James Hawes, se révèle être une supercherie. Ceci, particulièrement au regard de la façon dont SND, distributeur du film en France, a choisi de le promouvoir. En effet, entre l’affiche finale et la bande-annonce, cette dernière surfant sur une mélodie d’Adèle qui détonne totalement avec le ton et le contexte du récit, nous sommes allégrement vendus à la présence prépondérante de l’exceptionnel Anthony Hopkins. Or, durant la première heure, l’acteur n’accapare guère plus de 15 minutes à l’écran, les deux premiers tiers du film se consacrant plutôt à l’histoire passée de son personnage. À ce titre, nul ne saurait être surpris. Mais ce n’est là que la première des indignités. Il convient également de dénoncer avec véhémence la manière dont cette même bande-annonce se concentre essentiellement sur une scène d’émission télévisée qui, ô rage, s’avère être l’apogée du long-métrage. Si je puis concevoir l’intention de mettre en lumière ce moment historique en hommage à Winton, gâcher ainsi la révélation de son parcours à un public francophone qui lui est peu familier relève de l’erreur monumentale. Enfin, passons.
L’exploitation de l’Holocauste à des fins d’émotions superficielles est un phénomène récurrent depuis longtemps. Il semble que même les artistes les plus talentueux ne puissent résister à la tentation d’exploiter ce sujet chargé pour susciter des émotions faciles. Même le grand Steven Spielberg a cédé à cette tentation dans son magistral, La Liste de Schindler. Dans le drame britannique Une Vie, nous assistons à une imitation dégradée de cette tendance, racontant l’histoire authentique du courtier Nicholas Winton, qui, en 1938, a secouru 669 enfants juifs en leur procurant des visas britanniques pour quitter la Tchécoslovaquie juste avant l’avènement des nazis. Une fois au Royaume-Uni, ces enfants ont été pris en charge par des familles d’accueil. Si le biopic de James Hawes n’est pas stricto sensu un film sur l’Holocauste, il y est étroitement lié et est conçu pour être perçu comme tel. Nous suivons Winton, interprété par Johnny Flynn, alors qu’il élabore des stratégies avec ses associés à Prague, rencontrant des familles juives, collectant des informations sur leurs enfants, rassemblant des fonds pour les visas à Londres, remplissant des formulaires, sollicitant le bureau de l’immigration, faisant la promotion des familles d’accueil, et enfin appariant les enfants avec elles. L’ombre menaçante de l’invasion nazie plane en permanence sur cette entreprise.
Toutes les scènes que l’on attend dans ce genre de films sont présentes : des personnages vêtus de costumes d’époque évoluant dans des conditions difficiles, des plans de formulaires estampillés, des trains bondés de gens désespérés, des allers-retours anxieux dans les gares, et ainsi de suite. Cependant, il manque cruellement de tension, de suspense (sans blague, on connait déjà la scène finale) et de qualité artistique que ces scènes de 1938 semblent souvent être des reconstitutions à petit budget insérées dans un documentaire du type diffusé sur Histoire TV. Sa réalisation télévisuelle et sa mise en scène mécanique suggèrent qu’il serait mieux adapté à une diffusion sur M6 plutôt qu’à une sortie en salle. Même la présence de Sir Anthony Hopkins ne parvient pas à sauver le film de son origine manifestement télévisuelle.
D’ailleurs, il y incarne Winton dans les années 1980, alors qu’il mène une vie paisible avec sa femme Grete, jouée par Lena Olin. Néanmoins, la découverte de ses actes passés le ramène soudainement sous les feux de l’actualité ; oubliés jusqu’à présent, les efforts de Winton pour archiver la documentation concernant son opération le ramènent à la lumière quarante ans plus tard. La raison d’être principale d’Une Vie est de reconstituer un moment très célèbre de l’histoire de la télévision britannique : un épisode de l’émission That’s Life, où le récit des efforts de Winton pour sauver les enfants a été relaté. Ce moment, reproduit dans Une Vie, est mis en scène de manière similaire dans le but évident de susciter des larmes chez le public. La musique grandiloquente, les applaudissements retentissants et les plans de réactions émouvantes contribuent à cette manipulation émotionnelle.
Les séquences prolongées se déroulant dans les années 1980, probablement étirées pour mettre en avant la présence d’Anthony Hopkins, déséquilibrent l’ensemble de manière significative. En effet, tandis que la première heure de reconstitution peut sembler fastidieuse, elle bénéficie tout de même d’un soupçon de direction artistique qui captivera les fervents passionnés d’Histoire. En revanche, le saut temporel dans le futur de Winton se révèle excessivement conventionnel. Il s’agit essentiellement de discussions interminables qui ne font que retarder l’inéluctable, déjà connu du spectateur. Hopkins, Olin et Helena Bonham-Carter (dans le rôle de la mère de Winton dans les scènes de 1938, bien que sa présence semble presque insignifiante) livrent des performances compétentes au sein de cette approche narrative peu flatteuse. Cependant, Flynn semble singulièrement fade, semblant avoir été dirigé pour incarner uniquement deux traits de caractère : la gentillesse et la bonté – comme si nous assistions à une production SAJE. Quant à la musique du compositeur allemand Volker Bertelmann, elle abuse constamment des violons, tirant véritablement sur la corde sensible.
Cette histoire a déjà été couverte dans le documentaire primé aux Oscars en 2000, Les Chemins de la Liberté. Par conséquent, pour ceux qui sont attirés par ce récit et envisagent, pourquoi pas, de se rendre au cinéma pour voir ce biopic de qualité douteuse, je les encourage plutôt à découvrir ce documentaire. Au moins, ainsi, Une Vie aura eu une certaine utilité.
Une Vie de James Hawes, 1h49, avec Anthony Hopkins, Johnny Flynn, Helena Bonham Carter – Au cinéma le 21 février 2024