[CRITIQUE] Tre Piani – Un monde au bord de la crise de nerfs

Tre Piani n’a pas fait l’unanimité à sa présentation au dernier Festival de Cannes, beaucoup de critiques reprochant un récit décousu, et un déséquilibre dans la structure narrative. Cela serait pourtant bien dommage de passer à côté d’un long-métrage évoquant les thèmes les plus chers du réalisateur, entre conflits familiaux, deuil, accidents et apprentissages de la vie.  L’histoire, adaptée du roman Shalosh Qomot de l’israélien Eshkol Nevo, et resituée à Rome, emprunte les codes du film choral, où l’on suit trois familles vivant sur trois étages d’un même appartement de classe moyenne. Quand le fils de Vittorio tue accidentellement à moto et sous l’emprise de l’alcool, la femme d’un voisin proche, c’est toute une série d’événements qui s’apprête à bouleverser la vie de ce petit monde…

L’œuvre de Moretti évoque le poids de la responsabilité parentale, sous trois périodes différentes, les enfants et les parents grandissant, et leurs problèmes respectifs aussi. En choisissant de disposer les intrigues de manière parallèle, qu’il s’agisse de l’accident à la fausse accusation pour les enfants, comme la crise trentenaire des hommes, jusqu’à la peur de l’absence du mari ; Tre Piani renvoie aux difficultés de la vie communes à tous. D’un étage à l’autre, il n’y a pas tellement de différence, si ce n’est quelques années, le temps que le problème de l’étage du dessous revienne au supérieur. D’une allée, forêt à une classe éloignée, tant de lieux et de distances extérieures au cadre précis de l’immeuble, suscitant moultes agitations pour le parent. A l’inverse, et c’est la réponse de la première intrigue, l’encadrement effectif de l’enfant dans une cellule formatée seulement par l’éducation parentale ne le protège pas plus, la simulation de procès apprise au jeune fils le renverra plus tard devant ces mêmes tribunaux.

Tôt ou tard, le temps nous rattrape tous.

Plus particulièrement, l’homme semble dans le film le plus touché et effrayé par les décisions qu’il doit prendre, au bord de la crise de nerfs. Il est celui sur lequel dépend une famille entière, qui en prend conscience quitte à se rendre malade. Cette galerie de personnages est tout à fait touchante, et bien que leur traitement soit finalement assez similaire, ils se répondent sur le temps. Du père bouleversé par l’état psychologique de sa fille qu’il pense aggravant, le plus âgé regrette d’en avoir fait autant avec son fils, davantage perturbé et bloqué dans sa vie. Les interprétations sont bien évidemment magnifiques, Nanni Moretti tout en sobriété comme Riccardo Scamarcio, et il est très fréquent que la caméra du cinéaste se pose sur leur regard, et celui des femmes également, afin de saisir leur détresse. Alors, des blessures aux trahisons, incompréhensions provoquées entre hommes et déchirant la structure familiale, est-il possible de pardonner ? Le temps guérira les blessures du présent, pas le passé.

Parce que le temps ne permet pas d’oublier, mais de revoir le passé sous une autre lumière ou de ne plus souhaiter le voir, à l’image de cette dernière scène où le fils regarde sa mère par un regard plein d’émotion, incarnée par la toujours aussi talentueuse Margherita Buy. Aux enfants qui se succèdent, les adultes qui naissent, et qui périssent. Le classicisme des thèmes pourra être reproché, si seulement l’ensemble n’était pas aussi bien interprété et les lignes de dialogues autant convaincantes, ce qui est le cas ici. Plusieurs scènes sont d’une justesse admirable, et en particulier le contraste évident entre la scène d’introduction d’une brutalité radicale, et la communion de fin, tous dansant et se regardant dans les yeux, comme s’ils venaient de découvrir le monde extérieur. Enfermés dans un cadre où il ne reste plus qu’une lumière qui vacille la nuit, tels prisonniers de leurs angoisses, ces habitants vivent tant de choses similaires mais qu’ils ne communiquent pas entre eux. C’est le grand drame du film, que Moretti parvient à retransmettre parfaitement par sa mise en scène, filmant souvent ses personnages de manière distanciée, comme à travers une vitre.

Tre Piani n’est pas nécessairement le grand film de son réalisateur ni son drame le plus abouti, mais il dépeint de manière si sensible, la vie comme un immense terrain d’apprentissage où les épreuves se succèdent, et sans le savoir, celle où la destinée d’un humain change jusqu’à la fin de ses jours. Le pardon comme acquis n’est pas possible, en témoigne cette relation fraternelle sans issue comme le rapport père-fils que l’on supprime du répondeur, mais le soutien est nécessaire. Parce que si la vie, c’est profiter sur le peu de temps qu’il nous est donné, c’est également et surtout la nécessité de faire face à ses responsabilités, que l’on soit enfant ou adulte. Ou du même immeuble, donc.

Note : 4.5 sur 5.
https://www.youtube.com/watch?v=5YDQYdIz0wo

Tre Piani au cinéma le 11 octobre 2021.

3
0

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *