[CRITIQUE] Tiger Stripes – Sortir les Ongles

L’horreur métamorphique, subtilement explorée à travers l’objectif cinématographique, se révèle être un moyen exquis d’interroger l’altérité, parfois agrémentée d’une nuance queer. Ces récits, ancrés dans le voyage initiatique vers l’âge adulte, dépeignent les protagonistes s’efforçant d’embrasser leur unicité, découvrant leur salut dans l’acceptation de leur véritable essence. Dans son premier opus, la réalisatrice malaisienne Amanda Nell Eu pousse cette exploration de la transformation corporelle à son apogée. Tiger Stripes transcende les limites des éléments queer pour plonger au cœur de l’identité, capturant l’essence même du corps féminin et la quête de libération qui lui est propre, dans un cadre baigné de religiosité. Si la métamorphose de l’héroïne en félin féroce peut semer le doute quant à son adaptation future à la vie, cette première incursion se distingue par son caractère initiatique et son éclat jovial, destinés à conquérir un public jeune.

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Zaffan, espiègle et rebelle, gravite au sein de l’aristocratie de son école pour jeunes filles, toujours prompte à défier ses enseignants et à semer la zizanie. Évoluant dans une société religieuse où les normes exigent des jeunes filles qu’elles se dissimulent, Zaffan suscite l’admiration de ses pairs grâce à son audace, affichant sans complexe son soutien-gorge et s’adonnant à des danses effrénées sur TikTok. Cependant, ce n’est pas uniquement sa féminité affirmée qui capte l’attention, puisque des métamorphoses plus perturbantes altèrent sa personne. Une éruption cutanée se répand sur son épiderme, ses cheveux abandonnent leur panache, et un grondement menaçant émane de sa gorge : il n’est pas ardu de conjecturer la nature de cette transformation, à la lumière du titre suggestif du film. Son aura semble déstabiliser ses camarades, provoquant des crises d’angoisse à leur proximité. Progressivement ostracisée et victime de harcèlement, Zaffan s’engage sur la voie de l’acceptation de sa véritable essence, mais se trouve confrontée à l’intervention d’un charlatan, invoqué pour exorciser son “problème”.

Le long-métrage cible assurément un auditoire adolescent, sa réception pouvant varier chez les spectateurs plus mûrs, mais cette œuvre initiatique, bien que légèrement chaotique, incarne un joyeux premier pas dans l’univers de la cinéaste. S’appuyant sur l’éclatante performance de Zafreen Zairizal dans le rôle de la protagoniste féline, il souffre de quelques incohérences dans les mutations physiques de Zaffan et leur représentation, tandis que le personnage du guérisseur est introduit de manière un peu trop emphatique, en discordance avec le ton léger mais sérieux qui prévaut de l’ensemble. Ces imperfections demeurent mineures. Le message central, prônant l’acceptation de soi et la traversée de l’existence avec cette conviction ancrée, peut sembler familier, mais Eu parvient à l’incarner avec originalité. Sa représentation subtile de la condition féminine au sein de communautés patriarcales évite toute forme de moralisation excessive, préservant ainsi son public tout en évitant de trop appuyer son propos.

Tiger Stripes se révèle comme un premier film robuste pour Eu, assurant de trouver sa légitimité tant dans les cercles festivaliers, particulièrement ceux dédiés à la jeunesse, que dans les salles d’art et d’essai à la recherche de joyaux destinés aux jeunes ou aux amateurs d’histoires fantastiques. Quelques parallèles avec l’éblouissant Les Bonnes Manières de Juliana Rojas et Marco Dutra pourraient suffire à vous convaincre.

Tiger Stripes de Amanda Nell Eu, 1h35, avec Zafreen Zairizal, Deena Ezral, Piqa – En salles le 13 mars 2024

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