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[CRITIQUE] The Velvet Underground – Fervent (dé-)succès

Si vous disiez aux gens en 1967 que le groupe maison d’Andy Warhol venait de sortir l’un des albums rock les plus vénérés de tous les temps, ils vous demanderaient comment ils s’appellent, et quand vous leur diriez, ils riraient. Pour le public, il y avait une centaine de groupes capables de connaître ce succès historique dans les années 60, et aucun ne s’appelait The Velvet Underground. Dans une certaine mesure, ils avaient raison. Il a fallu attendre une autre décennie avant que The Velvet Underground & Nico, orné de bananes, ne subisse le contrecoup de la culture pop et plus d’un demi-siècle avant que le groupe avant-gardiste ne reçoive un traitement documentaire définitif par l’un des meilleurs cinéastes vivants. Mais comme l’histoire et ledit documentaire l’ont prouvé, nous aurions le dernier mot dans cet échange. L’ambiance saisissante du film The Velvet Underground du scénariste et réalisateur Todd Haynes, son premier long métrage documentaire mais loin d’être sa première incursion dans le domaine de la musique, peut être résumée par deux œuvres que vous connaissez peut-être déjà. Tout d’abord, « Venus in Furs », le quatrième morceau bohème du premier album du groupe en 1967, connu pour ses provocations sado-masochistes lyriques et son instrumentation lente et bruyante, grâce au bourdonnement de l’alto de John Cale et à la guitare Ostrich innovante de Lou Reed (toutes les cordes sont accordées sur la même note). La cacophonie sonore fait irruption sur la scène sans introduction, établissant le rythme et le ton. Cette musique sombre et hypnotique fait naître le film du néant, tout comme le groupe est soudainement sorti de l’inconnu (et de l’underground) après le succès solo de Reed dans les années 70. Il ancre le doc de Haynes dans la monotonie sonore somptueuse sur laquelle ce groupe a été fondé.

Tu me tapes le crâne jusque dans les « Boom Bap« 

Se déroulant en grande partie dans le célèbre studio de Warhol, « The Factory », dans le centre de Manhattan, le documentaire montre un large éventail d’artistes qui allaient et venaient sous la surveillance du manager du Velvet Underground. Il était un gardien silencieux. Un observateur avisé. Un radar inégalé pour le talent artistique, comme le monde n’en a pas vu depuis, sans doute, Gertrude Stein. La question n’était pas de savoir qui était l’ami de Warhol à cette époque, mais plutôt qui ne l’était pas. Même Salvador Dalí, à l’époque de Stein, fréquentait le collectif artistique. The Factory doit son nom au fait qu’il s’agissait essentiellement d’une chaîne de montage dans laquelle une personne était toujours en train de traiter une sérigraphie (pensez au portrait de Marilyn Monroe par Warhol, « Marilyn Diptych »), que Warhol a repopularisée dans les années 1960, tandis qu’une autre était toujours en train de filmer un bout d’essai pour Warhol. Haynes utilise les fameux bouts d’essais en noir et blanc de Warhol pour chaque artiste du Velvet Underground tout au long du documentaire, avec un effet hypnotique. Ces bouts d’essais, où l’artiste fixe simplement l’objectif, offrent un aperçu de l’âme de son sujet. C’est comme si l’on fixait quelqu’un à quelques centimètres de son visage, en analysant chaque mouvement unique, chaque tic, chaque sillon ou chaque expression subtile, alors que le sujet est assis dans un état de transe sous le bourdonnement de la caméra Boleyn 16 mm fixe de Warhol, c’est une expérience intime. En fait, ce choix traduit l’approche de Haynes pour raconter l’histoire du Velvet Underground : refléter l’art singulier du groupe, et non atteindre la compréhension totale d’une entrée encyclopédique. Cale était connu pour vouloir tenir une note et écouter toutes les variations, les beautés et les subtilités qu’elle contient, comme un riff soutenu pendant toute la durée d’un morceau. Haynes cherche à faire la même chose, visuellement, avec ses sujets.

P’tite kermesse à la Factory

L’un des thèmes que Haynes a voulu maintenir dans la lignée du Velvet Underground et de Warhol est celui de la pensée radicale contre l’ordre établi. La mentalité hippie « peace and love » de la côte ouest ne correspondait pas au son et aux idéologies du Velvet Underground. Des salles comme Bill Graham et des artistes comme Cher leur crachent du vitriol et leur souhaitent l’échec. Ils étaient rudes, bruyants, et ne croyaient pas qu’il fallait résoudre l’état agressif du monde avec des fleurs. Ils ont créé une norme pour eux-mêmes en étant plus durs et plus brutaux, mais aussi plus directs sur le plan thématique que leurs homologues et dissidents de la culture hippie, une barre qu’ils ont continuellement essayé de relever au fur et à mesure de leur évolution : offrir une variété ésotérique de réponses aux questions sociopolitiques sur des odes à l’amour de soi et à la dissolution de la haute culture en faveur de l’homme commun, souvent à l’aide de guitares désaccordées, de distorsion et de signatures temporelles méconnaissables. Les drogues, de grandes personnalités, les longues périodes d’insomnie sur les routes et les concerts donnés pendant des années ont finalement conduit à un arrêt naturel du Velvet Underground, un groupe par nature entropique. À l’instar du puissant clip final du documentaire, qui montre un Reed pensif discutant avec tendresse de l’endroit où se trouve son groupe aujourd’hui disparu et de sa gloire passée, ce collage d’images restera dans l’esprit du spectateur longtemps après le générique. C’est un groupe qui ne s’est jamais effondré au nom de la poursuite, de la gloire ou d’une politique oppressive. C’est un groupe qui est resté fidèle à ses valeurs. Reed serait fier de ce que Haynes a si méticuleusement créé.

Ce n’est pas la version la plus divertissante d’un documentaire sur le Velvet Underground, mais c’est la plus fidèle au groupe. Haynes se concentre sur le caractère et les nouveaux éléments qu’ils ont apportés et qui, comme les éléments de l’art moderne, sont mieux saisis par des philosophies et une compréhension conceptuelle, comme c’est le cas ici. En fin de compte, The Velvet Underground est la preuve d’une vérité cinématographique toujours cristalline : donnez à un grand réalisateur un peu d’argent et un accès aux archives de son groupe préféré, et vous avez un succès.

Note : 3.5 sur 5.

The Velvet Underground disponible sur Apple TV+ le 15 octobre 2021.