La cinéaste polonaise Agnieszka Smoczyńska revient en conjuguant l’éclat de son premier long métrage musical et horrifique, The Lure, à la puissance émotionnelle de son troisième opus. Présente depuis un certain temps sur la scène cinématographique européenne, son travail avec Netflix a attiré l’attention des États-Unis. Ses films, à la fois précis et libres, sont portés par des protagonistes féminins sans compromis, révélant une part souvent négligée de l’expérience humaine. Le talent de la réalisatrice pour tisser des univers fascinants à travers une esthétique singulière a atteint son apogée dans son dernier chef-d’œuvre, The Silent Twins.
Comme beaucoup de films, The Silent Twins débute par un générique. Une séquence ludique et inventive qui dévoile immédiatement l’univers des sœurs jumelles. June et Jennifer Gibbons, incarnées pour la première fois par Leah Mondesir-Simmonds et Eva-Arianna Baxter, lisent les noms des acteurs, incluant les leurs, dans le cadre d’une prétendue émission de radio. Ce choix créatif, à la fois charmant et évasif, souligne la maltraitance subie par June et Jennifer tout au long de leur vie : harcèlement à l’école (elles étant la seule famille noire de la communauté galloise), ostracisme dû à leur incapacité à communiquer avec autrui autrement qu’entre elles, et traitement psychiatrique peu empathique. Un besoin d’évasion émane de cette réalité.
Basé sur le roman de la journaliste du Sunday Times, Marjorie Wallace, et écrit par Andrea Seigel, The Silent Twins s’immerge parfois un peu trop dans les effets visuels du réalisme magique, détournant par moments l’attention du spectateur des vies de June et Jennifer, incarnées à l’âge adulte par Letitia Wright et Tamara Lawrance. En intégrant des faits réels, des poèmes et des chansons écrites par les sœurs, Agnieszka Smoczynska recourt à une multitude de techniques, de la stop-motion aux séquences fantastiques, pour dépeindre un monde alternatif plus heureux et esthétiquement coloré pour June et Jennifer. Un véritable terrain de jeu visuel pour le directeur de la photographie Jakub Kijowski. Cette transposition artistique des écrits des sœurs dans un film constitue un aspect aussi charmant qu’intrigant.
Cependant, The Silent Twins se focalise tellement sur ces aspects visuels qu’il en oublie parfois de traiter les sœurs en tant que personnages distincts. Le langage cryptophonique utilisé par Letitia Wright et Tamara Lawrance est remarquable, mais aucun aspect graphique ne peut compenser le manque de profondeur de l’intrigue, qui reste essentiellement un biopic classique, survolant les moments cruciaux de la vie des sœurs sans véritable exploration. Le film démontre également un désintérêt choquant pour le contexte racial de la région galloise à l’époque. Pour un film se déroulant dans les années 1980, et mettant en scène des sœurs noires muettes confrontées à l’adversité et à des accusations criminelles, la bienveillance envers les personnages blancs est remarquable.
Une tension palpable imprègne le récit, annonçant un potentiel dénouement horrifique à tout moment, ce qui rend la vision du film parfois délicate. Les sœurs aspirent à devenir des écrivaines publiées, mais leur relation est tumultueuse, marquée par des rivalités et des éclats violents, surtout lorsque l’amour s’en mêle. Certaines des histoires fictives entrelacées au récit semblent déroutantes, voire déconcertantes, à l’image de celle d’un homme prêt à tout pour sauver la vie de son enfant en recourant à une transplantation cardiaque animale.
Dotées d’une éducation et de personnalités singulières, il n’est pas surprenant que les écrits des sœurs puissent être tout aussi troublants. Toutefois, on ne peut que regretter que le scénario n’exploite pas davantage les particularités des sœurs, ni ne parvienne à établir un véritable fil conducteur émotionnel. The Silent Twins est un film d’une grande imagination, mais qui souffre d’un manque de profondeur.
The Silent Twins de Agnieszka Smoczynska, 1h53, avec Letitia Wright, Tamara Lawrance, Jodhi May – En VOD le 30 avril 2023