Paris, un soir de pluie. La lumière tremblante des néons découpe des silhouettes fantomatiques dans les ruelles désertées, tandis que, au loin, le cri des sirènes résonne, écho lointain d’une tragédie en marche. L’air est lourd, saturé de mystère, comme si chaque goutte de pluie portait en elle un secret inavouable. C’est le genre de nuit où un film de John Woo pourrait s’éveiller, baigné dans cette aura de fatalité, où chaque geste, chaque tir, serait une danse tragique, une explosion de poésie visuelle. Mais en 2024, The Killer, ce remake que personne n’avait vraiment réclamé, échoue dès ses premiers instants, comme un coup de feu qui résonnerait à blanc. Où est passé l’orfèvre des fusillades légendaires, le maître d’une violence chorégraphiée avec une telle élégance qu’elle en devenait une forme d’art sacré ? Que reste-t-il, ici, de l’âme de John Woo ?
Ce remake de The Killer était censé marquer un retour triomphal pour John Woo, renouant avec son œuvre de 1989 qui avait redéfini les contours du cinéma d’action hongkongais. L’original était une ode à la fraternité, à l’honneur, et à la rédemption tragique, enveloppée dans une violence magnifiée. L’histoire d’un tueur à gages, pris dans une quête désespérée de pardon après avoir blessé une chanteuse innocente, tout en étant traqué par un inspecteur aussi implacable que lui, résonnait avec force. C’était un film où chaque balle, chaque mouvement, semblait suspendre le temps, où la violence se déployait comme une poésie macabre sous l’œil attentif de Woo. Les ralentis hypnotiques, les colombes fendant l’air dans un vol symbolique, tout contribuait à cette esthétique unique du heroic bloodshed, où l’honneur et l’émotion s’entrelacent dans le chaos.
Mais en 2024, The Killer a perdu cette flamme. Woo transporte l’intrigue à Paris, une idée séduisante sur le papier, où la ville des lumières se drape d’un voile noir, prête à devenir le théâtre d’une chasse sans merci. Pourtant, cette vision sombre de Paris, avec ses ruelles étroites et ses ombres mouvantes, ne trouve jamais sa résonance. Z, la tueuse incarnée par Nathalie Emmanuel, est censée être le cœur de cette quête de rédemption, une prédatrice qui vacille entre la froideur de son métier et l’appel à la rédemption. Mais Z erre, sans jamais vraiment exister. Son visage reste lisse, ses émotions impénétrables, et son tourment, invisible. L’alchimie qui rendait Chow Yun-fat si inoubliable dans le rôle original, cette capacité à transcender le simple statut de tueur pour devenir une figure tragique, n’est jamais là.
Là où l’original tissait des liens humains complexes, bâtissait des relations nourries de douleur et de tension, ce remake échoue à capturer cette profondeur. Omar Sy, dans le rôle de l’inspecteur Sey, traque Z, mais leur duel manque cruellement de relief. Il n’y a ni tension, ni frémissement dans leurs échanges. Les dialogues sont vides, dénués de cette force brute que l’on attendait, réduisant leur affrontement à un simple jeu mécanique. Ce ne sont plus des âmes en lutte, mais des silhouettes se croisant sans conviction, prisonnières d’un scénario sans audace, où chaque geste semble programmé, où chaque coup est attendu.
John Woo, le maître incontesté de la violence stylisée, n’est plus ici que l’ombre de lui-même. Il y a bien des scènes d’action, des fusillades, mais elles manquent de ce souffle qui, jadis, en faisait des chorégraphies inoubliables. Les ralentis, les envolées de caméra sont présents, mais ne sont plus que des gimmicks vidés de leur sens, des échos lointains d’un passé glorieux. Même la grande scène de l’église, où le destin des personnages devait se nouer dans un ballet d’émotions et de balles, ne parvient pas à susciter l’intensité que l’on attendait. L’élégance tragique de l’original fait place à une exécution froide, sans âme. Les balles sifflent, mais ne touchent plus, ni les corps ni les cœurs.
Ce qui manque cruellement à The Killer de 2024, c’est cette âme qui faisait autrefois vibrer le cinéma de John Woo. Là où il savait, d’un simple regard, créer de la tension, ici tout semble désespérément superficiel. Paris, cette ville aux mille histoires, aux ruelles propices aux intrigues, n’est qu’un décor figé, une toile de fond stérile que Woo n’explore jamais. Il y avait tant à faire de cette ville, tant de noirceur à révéler, mais tout est sacrifié à une intrigue qui déroule son fil sans jamais capturer l’essence de ce qui pourrait faire vibrer cette histoire. Paris devient une carte postale figée, un lieu de passage où les personnages évoluent sans jamais vraiment l’habiter.
Ce n’est pas tant que John Woo a vieilli, c’est que son cinéma semble s’être figé dans une époque révolue. Ce remake n’est qu’une réplique sans vie, une tentative de ressusciter un feu qui s’est éteint depuis longtemps. Il manque cette folie créatrice, ce regard acéré qui, jadis, transformait la violence en une forme d’art, une tragédie envoûtante. The Killer (2024) n’est pas un désastre, mais il est bien loin de ce qu’il aurait pu, et dû, être. Ce n’est pas un film de John Woo, c’est une imitation pâle, un souvenir estompé d’une époque où la violence cinématographique possédait une âme. À la fin, il ne reste que des images fades, des personnages creux, et une ville fantôme. Ce qui était autrefois un art de la violence poétique semble avoir tiré ses dernières cartouches. Mais cette fois, il ne reste que le silence des balles perdues, et l’écho lointain d’un cinéma qui s’est éteint.
The Killer de John Woo, 2h05, avec Nathalie Emmanuel, Sam Worthington, Omar Sy – Au cinéma le 23 octobre 2024