[CRITIQUE] Suprêmes – L’ambition sans limites

En 2015 le film NWA : Straight Outta Compton sortait dans les salles obscures. Critiques et spectateurs s’accordent alors à dire à quel point le succès du film est mérité. Nominé aux oscars, le scénario avait l’intelligence de mêler l’origine du groupe de rap NWA au contexte social de l’année 1986, notamment les abus de la police de Los Angeles. Le succès du film inspire donc les producteurs français qui espèrent pouvoir réaliser un biopic similaire sur le groupe de rap français NTM. Supervisé par Kool Shen et JoeyStarr, le scénario est écrit par Marcia Romano et Audrey Estrougo, qui s’occupe également de la réalisation. Kool Shen et JoeyStarr sont joués respectivement par Sandor Funtek et Théo Christine. Le projet termine donc son tournage fin 2020 pour une sortie le 24 novembre 2021. Mais alors Suprêmes réussit-il à réitérer le succès de NWA : Straight Outta Compton ?

Suprêmes raconte donc la genèse du groupe NTM durant trois années jusqu’à leur premier Zénith de Paris en 1992. Et tout de suite un problème se pose, en un peu moins de deux heures le film essaie de raconter trop de choses. Avoir beaucoup de sujets ou d’intrigues n’est pas un mauvais point pour un film, mais ici tout est raconté bien trop brièvement. On a l’impression de regarder l’adaptation de la page Wikipédia du groupe, les événements se succédant les uns après les autres sans qu’un paraisse plus important qu’un autre. Le contexte politico-social ? Il est expliqué en un bref extrait d’une intervention de Mitterrand. Les violences policières ? Les noms de Thomas Claudio et de Malik Oussekine sont lancés une seule fois tandis que seulement quelques courtes scènes traiteront le sujet. La relation compliquée entre Joey Starr et son père est résumée en seulement trois scènes, la première est excellente mais les deux suivantes se répètent et n’apportent rien au sujet. Les personnages comme Franck Chevalier ou Sébastien Farran se succèdent sans qu’aucune importance ne leur soit donnée, malgré d’excellents acteurs. Le film essaye même de détacher la création du groupe du contexte social, insistant sur le fait qu’il ne souhaite faire que de la musique.

La La Land

Et sur le point de la musique justement, le film excelle. Audrey Estrougo réussit à faire une série de clips en plans-séquence qui sont tout simplement délicieux. On pense notamment à cette première scène entre Joey et son père, ou la réalisatrice laisse tout le talent de Théo Christine s’exprimer, le laissant danser sans aucune coupure. Une autre scène extrêmement marquante visuellement qui nous vient en tête, c’est bien évidemment cette scène de concert en extérieur, ou le groupe est uniquement éclairé par des phares de voitures. Encore une fois, le plan-séquence est ici pertinent, tant une coupe aurait freiné l’énergie explosive de celle-ci. Cette énergie qui déborde de chaque scène est due à la performance flamboyante de Théo Christine et Sandor Funtek. Malgré la ressemblance avec les rappeurs, le duo d’acteurs ne fait pas dans le mimétisme et va au contraire créer deux personnages de cinéma. Des personnages à qui ils réussissent à insuffler des fragilités, une mère absente pour JoeyStarr, le trac de monter sur scène pour Kool Shen ou encore des ambitions stratosphériques. Ils ont faim de succès et ils comptent bien dévorer le monde. Dans toutes ces scènes, la magie opère et le film a un sens du spectacle plaisant. La mise en scène est toujours surprenante, jamais dans le classicisme et souvent dans les codes du clip musical, avec des effets de style très MTV. Alors, face à Suprêmes, on ne peut que féliciter Audrey Estrougo pour son sens du rythme et du visuel, mais il y a malgré tout une absence, un grand vide dans sa mise en scène : le point de vue. 

Tous les événements sont simplement filmés, jamais la réalisatrice ne pose un regard, une intention, un questionnement sur les actions de ses personnages. L’ampleur politique et sociale du mouvement disparaît alors derrière de beaux artifices esthétiques. Un exemple parlant et sans spoilers arrive dès la toute première scène : la rencontre entre Kool Shen et Joeystarr. Les deux font partie de différentes bandes de graffeurs, qui font donc leur activité la nuit dans les tunnels du métro. La rencontre est rythmée par de la musique puis par une série d’incrustations de photos du groupe d’amis. Ces apparitions stroboscopiques donnent un effet de style très graphique et plaisant, mais au final, à part ces incrustations, la scène est vide de toute autre idée pertinente. On ne sait jamais ce qui les pousse à graffer, si la raison est un engagement politique ou non. La scène est un peu vide, et le reste du film va être calqué sur ce modèle.

Le mulet de retour a la mode

Finalement, Suprêmes est très loin de la réussite qu’est NWA : Straight Outta Compton. Bien sûr, du point de vue des scènes de concerts, le film dégage une énergie folle, grâce a des comédiens d’un grand talent. On leur souhaite de tout cœur de pouvoir montrer toute leur palette de jeu dans de prochains films. Audrey Estrougo a une mise en scène extrêmement esthétique et durant ses plans séquences, elle révèle un talent indéniable. Mais Suprêmes souffre de sa très faible mise en contexte et d’un grand manque de dramaturgie. Le biopic est bien trop sage, se contentant sans cesse de raconter des faits, sans jamais créer une histoire de cinéma. Mais d’ailleurs, c’est quoi le cinéma ? Lorsqu’on sort de la séance plusieurs choses viennent en tête immédiatement. Le cinéma, après plus d’un siècle d’existence, reste toujours un art extrêmement jeune et énergique. Le cinéma, ce sont des comédiens extraordinaires qui donnent tout ce qu’ils ont, qui crèvent la toile par leur charme, leur émotion et leur talent. 

Note : 3 sur 5.

Suprêmes au cinéma le 24 novembre 2021.

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