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[CRITIQUE] Speak No Evil – Hollywood en Mode Bouche Ouverte, Yeux Fermés

Au cinéma, on affirme souvent que la réinvention l’emporte sur la simple répétition. Le remake américain de l’œuvre danoise Speak No Evil illustre parfaitement les écueils qui surgissent lorsque l’original est pris comme un modèle rigide plutôt qu’une source d’inspiration. Ce projet aurait pu offrir une perspective intéressante sur le passage d’une vision scandinave à une version américaine plus grand public, mais à quel prix ?

Reproduire une œuvre étrangère, surtout lorsqu’elle a suscité une forte réaction, est une tentation grande. Dans la version initiale de Christian Tafdrup, il explore avec acuité les conventions sociales et l’atrophie du courage face à l’inconfort. C’est une analyse minutieuse de la manière dont nous, en tant qu’individus, sacrifions nos principes pour maintenir une paix apparente. Le remake américain, cependant, semble réduire ce cadre complexe à un schéma prévisible, effaçant ainsi les nuances et la profondeur qui rendaient l’original si puissant. Dans la version danoise, l’inconfort croissant est habilement exploré, chaque interaction entre les deux couples devenant un exercice de tension subtile. La scène du repas devient une danse sur le fil du rasoir, où le moindre faux pas peut mener à une catastrophe. L’efficacité de ce mécanisme repose sur une construction minutieuse de l’atmosphère, permettant au spectateur de ressentir l’angoisse croissante sans qu’elle ne soit explicitement décrite. Celui de James Watkins, quant à lui, opte pour une approche plus explicite, diluant la tension initiale dans une succession d’événements presque grotesques – imaginez une danse sur Cotton Eye Joe. Cette surenchère affaiblit l’impact émotionnel, ramenant le récit à une structure de thriller plus conventionnelle et prévisible.

On reparlera de James McAvoy le jour où il parviendra à se libérer de l’ombre persistante de son rôle dans Split.Copyright 2024 Universal Studios. All Rights Reserved.

Malgré ses efforts pour adapter l’histoire au contexte américain, le remake perd en subtilité ce qui avait fait le charme de l’original. La dynamique entre les personnages, essentielle dans la version scandinave, est simplifiée au profit d’un schéma narratif plus direct. Les caractères perdent leur profondeur et deviennent des caricatures : l’hôte excentrique, la famille naïve, etc. Ce traitement atténue les couches de tension et de malaise, transformant une réflexion fine sur le malaise social en un récit plus uniforme et prévisible. Par exemple, l’hôte, dans l’original, est un personnage ambigu dont la cruauté sous-jacente est révélée progressivement, tout en gardant un masque de convivialité. Dans la version américaine, ce personnage devient presque une parodie, avec des intentions et comportements trop évidents, empêchant le spectateur de s’engager pleinement dans la psychologie complexe des interactions.

Une autre force de l’œuvre danoise est sa capacité à générer une réaction viscérale à travers des détails subtils. Les éléments perturbateurs sont souvent laissés sous-entendus, permettant au spectateur de combler les vides avec ses propres peurs. Cette approche encourage une participation active du public, qui devient co-créateur de la tension et de l’angoisse. Le remake américain, en revanche, renforce certains éléments de manière plus directe avec des scènes explicites et des motifs évidents. Cela pourrait rendre le récit plus accessible, mais au détriment de l’impact émotionnel et de la réflexion que l’original a réussi à susciter. Les détails, tels que les rituels alimentaires ou les échanges sociaux, chargés de significations culturelles et psychologiques dans l’original, sont réduits à des éléments de suspense plus conventionnels. Enfin, la manière dont le remake gère la conclusion illustre une érosion de l’impact. L’original se termine sur une note à la fois déstabilisante et résolue, exploitant le tragique des actions des personnages pour créer une conclusion qui laisse le spectateur en réflexion. Le remake, quant à lui, choisit une conclusion plus dramatique et moins subtile, représentative d’une tendance plus large dans le cinéma américain à privilégier des résolutions claires et satisfaisantes. Cette approche compromet la singularité de l’expérience émotionnelle et réduit la capacité du récit à stimuler une réflexion plus profonde.

Comme nos parents aimaient à le rappeler lorsque nous tentions de justifier une mauvaise note par un timide “oui, mais untel n’a eu qu’un point de plus” : les comparaisons ne mènent à rien. Cela ne les empêchait pourtant jamais de nous demander la moyenne de la classe. Speak No Evil ne se hisse, hélas, même pas à cette ligne de flottaison.

Speak No Evil de James Watkins, avec James McAvoy, Mackenzie Davis, Aisling Franciosi – Au cinéma le 18 septembre 2024

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