À la fin de Smile, on retrouve Rose (Sosie Bacon), convaincue qu’elle peut échapper à la malédiction en affrontant seule la créature dans une maison isolée. Deux heures durant, nous l’avons vu subir la paranoïa de sourires transmis par suicides, laissant place à une créature surréaliste décidée à avoir sa peau. Elle croit prendre le dessus en faisant face à ses propres traumatismes mais découvre trop tard que tout cela n’était qu’une illusion tandis que la créature prend possession d’elle. Le film se conclut sur une scène glaçante : désormais sous l’emprise de la malédiction, Rose se suicide sous les yeux de Joel, son ancien compagnon, perpétuant ainsi la chaîne maudite reprise dans l’introduction du deuxième volet. Ici, on ne prend plus le temps de représenter des enjeux déjà connus et l’apparition de la malédiction est révélée au travers des mésaventures de Joel. Son visage apeuré annonce les rictus à venir, contaminés par le mal sardonique. La caméra se rapproche des visages, plongeant dans leurs expressions pour raviver la terreur. Parmi eux, celui de Lewis, un petit dealer présent pour affaires que nous reverrons, malheureusement. Après un plan-séquence suivant la fuite d’un des personnages, tentative désespérée d’échapper au rite mortifère, survient un accident brutal : une collision sur la route, traçant sur le bitume un sourire ensanglanté.
Le sourire, doux et perfide à la fois, devient ici un piège, une arme déguisée. On l’impose aux femmes, aux célébrités, aux puissants, comme un masque de contrôle. Dès la première scène, le sourire de Lewis, dealer perdu et proie d’un démon sans merci, survient comme un avertissement : ce rictus, loin d’être bienveillant, enferme. Lorsque Skye Riley, notre héroïne pop star broyée par le système moralement comme physiquement et accro aux opioïdes retrouve Lewis – il était bien question de le revoir -, ce dernier brise son visage contre une barre de musculation. Aucun détail ne nous est épargné : le montage se construit pour que chaque coupe s’apparente à un coup, laissant une trace de chair en moins à chaque reprise. Puisque son sourire, attendu mais rendant toujours la sensation glaciale, persiste, la malédiction gagne notre chère Naomi Scott, désormais porteuse de la gangrène hilarante. Les symptômes, nous les connaissons déjà : la paranoïa prend progressivement l’esprit de Skye, qui voit des signes avant-coureurs partout.
Une violence radicale s’infiltre, s’empare des corps, les déforme et les contrôle. Smile 2 ne se limite pas à traiter de possession démoniaque ; il expose la prise en otage d’un système, d’une industrie qui exige tout
des stars jusqu’à leur santé mentale et leur humanité. Skye est marquée dès le début par cette violence invisible. Les sourires qu’elle croise – celui d’une fan, d’un assistant – sont tant de marques d’hypocrisie faisant écho à ceux qu’elle fait en retour pour maintenir son image que des menaces silencieuses, relevant le contrôle de l’intimité par le regard d’autrui. Sous l’œil scrutateur de sa mère-manager, de l’industrie, elle doit sourire, performer, livrer chaque parcelle d’elle-même. Dans sa loge vaste et luxueuse, Skye semble emprisonnée et la mise en scène amplifie cette impression d’étouffement. Les miroirs omniprésents et les recoins sombres, filmés avec une précision presque clinique, multiplient son image jusqu’à ce qu’elle ne se reconnaisse plus. Lorsque nous découvrons cet espace après une répétition de danse, cet intime oppressant survient : Skye, ventre nu, expose une longue cicatrice sur son abdomen, souvenir d’un accident de voiture. Alors qu’elle cherche des analgésiques dans une boîte de médicaments, la boîte tombe dans l’évier. Ce détail déclenche un plan serré depuis le tuyau, capturant sa réaction sincère et exaspérée (« merde ») avant qu’un coup frappe à la porte. Sa mère (Rosemarie DeWitt), entre alors que Skye cache précipitamment sa cicatrice en enfilant un pull, visant une apparence parfaite. La caméra, fixée sur le miroir, présente d’abord la mère comme une projection lointaine de cette fatalité capitaliste. Elle l’encourage (« Tu peux être fière de ta journée »), ce à quoi Skye de dos répond un « Je le sais » sans conviction. Ce jeu de reflets souligne le fossé entre l’image imposée et la réalité intérieure de Skye, luttant pour maintenir une apparence qui lui échappe totalement.
Dans son appartement luxueux mais glacial, autre prison dorée où elle ère sans but – paradoxalement, c’est la malédiction qui lui en donne un, Skye n’est plus qu’une marionnette. Le placement de produit pour la marque VOSS (à 4 € la bouteille d’un litre) en témoigne : Parker Finn filme cette bouteille non seulement pour financer son film mais aussi pour souligner qu’à chaque instant – même en privé, en buvant de l’eau – notre protagoniste vend et doit vendre. La possession dépasse la métaphore : le film plonge dans une horreur viscérale et politique où le corps de Skye est physiquement façonné par une emprise oppressante. Lors d’un moment où l’hystérie prend le pas sur la raison, Skye s’arrache des touffes de cheveux. En écho à Lewis et sa barre de musculation, la caméra colle à son visage pour nous montrer les trous béants sur son crâne.
Dans Smile 2, le body-horror dépasse ses fonctions habituelles d’expression des angoisses modernes pour devenir un miroir incisif des enjeux politiques liés au corps. Le corps de Skye est un champ de bataille où se jouent des forces bien plus grandes que la simple peur de la mort : c’est un lieu de pouvoir, de contrôle et de révolte sourde. Lorsqu’en pleine répétition, elle commence à se désagréger, avec ses os perçant sa peau et ses chairs se déchirant, l’impact est saisissant. Ce n’est pas juste une scène d’horreur physique, c’est une dénonciation viscérale de l’exploitation des corps féminins et des célébrités usés jusqu’à la rupture sous le poids des attentes. Dans un monde obsédé par des normes esthétiques oppressantes et où la chirurgie redessine les corps selon des idéaux impossibles, Smile 2 se dresse comme une critique puissante de ces violences contemporaines.
Des prises de vue en drone approchant des fenêtres de son appartement aux téléphones braqués sur elle, jusqu’aux segments TV où elle est perpétuellement le sujet, la caméra devient cet œil intrusif. Peut-être avons-nous toujours été du point de vue de ce démon invisible. Cette surveillance prend tout son sens lors d’un événement caritatif où, sous les projecteurs, face à une foule exigeant perfection et contrôle, Skye vacille. Dans la marée des visages, elle aperçoit celui de son petit ami décédé, un sourire grotesque figé sur ses lèvres, macabre provocation qui trouble sa perception. À cet instant où la réalité se déforme, le corps et l’esprit de Skye se révèlent brisés, submergés par des forces internes et externes qu’elle ne peut plus contenir. Cédant sous cette pression psychologique oppressante, elle attaque violemment une personne innocente, convaincue de lutter contre le démon qui la hante. Cette scène, d’une intensité poignante, montre comment l’effondrement psychique de Skye est le fruit d’une tension continue où la frontière entre réalité et paranoïa s’efface, révèle une violence latente amplifiée par la surveillance incessante de son image.
Malgré les nombreux avertissements que Skye décèle, l’engrenage est bien trop avancé pour qu’elle ait le moindre libre arbitre lui permettant de reculer. L’isolation, la possibilité meurtrière qui lui a été évoquée pour enrayer la malédiction ne sont pas des options envisageables : puisqu’elle a répété et puisque tout a été décidé pour elle, son destin de pop star ne peut que s’évertuer dans une scène de concert. Devant la foule en délire, c’est l’opportunité pour le démon de se manifester, offrir l’auto-sacrifice de Skye pour parfaire sa passation dans un nouveau corps. Finn capture Skye dans un large cadre, éclairant la scène pour isoler l’artiste dans l’immensité de l’espace. Elle émerge d’un cocon sombre et brumeux qui en s’ouvrant laisse passer une lumière intense. Malgré son visage apeuré et expressif, elle avance, suivie par un travelling arrière qui révèle le public en liesse, inconscient de sa souffrance intérieure. Respirant fort, ses yeux appellent à l’aide. Une larme coule alors que le cocon s’évanouit et sa mère, de loin, lui fait un geste pour sourire. Seule face à une foule au sourire figé et menaçant, Skye est submergée, réalisant que son image est désormais capturée par cette entité collective, chaque fan devenant une extension de cette emprise dévorante. Finn exploite ici un effet de mise en abyme : le suicide de Skye, retransmis par son propre micro, n’est plus un acte privé de désespoir mais un spectacle public perçu en direct par des milliers de spectateurs qui deviennent les nouveaux vecteurs de la malédiction. En transformant un acte de douleur personnelle en un phénomène de masse, Finn critique la manière dont la célébrité expose les individus à une perte de contrôle totale, leur souffrance devenant matière à sensation et à propagation dans une société obsédée par l’image et la consommation.
Smile 2 de Parker Finn, 2h12, avec Naomi Scott, Rosemarie DeWitt, Lukas Gage – Au cinéma le 16 octobre 2024
Relecture par Thierry de Pinsun
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Louan7/10 Bien
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JACK7/10 BienEn prenant pour contexte un star-system obligeant ses acteurs à sourire en toute circonstance, Smile 2 double son horreur d'un discours percutant sur l'image publique. Plus fort encore : la performance de Naomi Scott, qui semble affronter la caméra tout du long.
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Vincent6/10 Satisfaisant