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[CRITIQUE] Smile 2 – L’industrie du corps

Image de Par Louan Nivesse

Par Louan Nivesse

Nous vivons dans une époque où les corps ne sont plus simplement des enveloppes de chair et de vie, mais des armes politiques, des objets de contrôle. Chaque geste, chaque sourire, chaque mouvement est passé au crible, analysé, vendu comme une marchandise. De Britney Spears à Ariana Grande, de Miley Cyrus à Lady Gaga, les stars de la pop ne sont plus que des figures publiques, des icônes dont les corps deviennent des vitrines pour un capitalisme avide et insatiable. Leurs visages, leurs corps, leurs âmes sont dévorés par l’œil insatiable du public et des réseaux sociaux, qui transforment l’intimité en produit, en bien à consommer. C’est dans ce monde, où le culte de la célébrité et l’obsession du corps en objet mercantile règnent en maîtres, que Smile 2 trouve son écho le plus profond. Ce n’est pas seulement un récit d’horreur traditionnel. Sous le masque de la terreur, il dévoile un manifeste politique, un cri contre la décadence d’une société qui dévore tout, jusqu’à la moindre parcelle de vie privée, jusqu’à l’intimité même des corps. Il révèle cette machine sociale qui, à force de tout consommer, laisse les êtres vides, dépossédés de leur essence.

Le sourire, depuis toujours, habite le visage humain comme une ombre familière, à la fois douce et trompeuse. Aux femmes, on demande de sourire. Des célébrités, on exige ce masque lumineux. Des puissants, on attend qu’ils dissimulent leurs violences derrière un rictus poli. Cette obsession du sourire, cette injonction à l’euphorie, même dans les méandres de la souffrance, est le cœur battant de Smile 2. Ici, le sourire n’est plus une simple grimace, il devient une arme politique. Dès les premières scènes, le sourire de Lewis, dealer égaré et proie d’un démon implacable, annonce la couleur. Ce sourire, loin d’une quelconque bienveillance, est une prison. Il est imposé par une force invisible, un masque cruel qui déshumanise. Dans une scène glaçante, Lewis, brisant son propre visage avec une barre de musculation, conserve un sourire figé, grotesque, même alors que ses os cèdent, que sa mâchoire éclate. Le sourire, ici, est perverti à l’extrême : il devient l’emblème d’un contrôle total, social et psychologique, l’injonction suprême à la joie factice alors que tout s’effondre. C’est ce sourire, imposé aux femmes, aux stars, à ceux que le système broie sous le poids des attentes, des pressions, des exigences de perfection. Skye Riley (Naomi Scott), pop star et héroïne du film, est elle-même la victime de ce contrôle invisible. Lors d’une rencontre avec ses fans, une jeune fille lui adresse un sourire. Innocent, à première vue. Mais très vite, ce sourire se mue en menace, un avertissement silencieux que quelque chose se dérègle. Ce sourire devient le visage même de la terreur, révélant l’aliénation du corps sous le regard de l’autre. Skye, prisonnière des attentes, doit y répondre. Elle doit sourire à son tour. La norme le commande, le public l’exige. Et ce sourire, qui devrait être un geste libre, devient une chaîne, un carcan invisible, enfermant Skye dans son rôle d’icône consumée, dévorée par une industrie insatiable.

Copyright Paramount Home Entertainment (Germany) GmbH

Ici, une violence radicale s’empare des corps, les manipule, les déforme, les contrôle jusqu’à leur essence même. Ce n’est pas simplement un film de possession démoniaque. Il met en scène une possession plus vaste, celle d’un système, d’une industrie qui exige tout des corps des stars, jusqu’à leur santé mentale, jusqu’à leur humanité. Skye, pop star brisée en pleine préparation de son retour après un accident de voiture, est marquée dès le début par la violence invisible de son environnement. Sous la surveillance constante de sa mère, qui est aussi sa manager, de ses fans et de l’industrie qui l’a façonnée, Skye doit performer, sourire, donner encore et encore. Dans son appartement luxueux mais glacial, elle n’est plus qu’une marionnette dont le corps est à vendre. Son image est consommée, chaque sourire, chaque chorégraphie est un produit, un bien prêt à être distribué à la foule avide. Cette possession dépasse la métaphore. On nous plonge dans une horreur corporelle, une horreur politique où le corps de Skye est physiquement modelé par ce contrôle oppressant. Le moment où elle s’arrache des touffes de cheveux, laissant des trous visibles sur son crâne, est d’une force viscérale. Ce geste d’autodestruction ne représente pas seulement la possession démoniaque, mais une métaphore déchirante de la manière dont la célébrité, et plus largement la société, consomment les corps jusqu’à ce qu’ils se brisent.

Dans le cinéma contemporain, le body-horror a souvent servi à exprimer les angoisses modernes : la peur du changement, la maladie, la déshumanisation. Mais dans Smile 2, cette horreur prend une nouvelle dimension, devenant le miroir des enjeux politiques liés au corps. Le corps de Skye se transforme en un véritable champ de bataille, où se déploient des forces bien plus vastes que la simple peur de la mort. Son corps devient un lieu de pouvoir, un espace de contrôle, mais aussi de révolte silencieuse. Lorsqu’en pleine répétition pour son concert de retour, Skye commence à avoir des visions de son corps se décomposant sous ses yeux, l’impact symbolique est bouleversant. Ce corps qui se désintègre, ses os qui percent sa peau, ses chairs qui se déchirent, incarnent la manière dont l’industrie l’a exploitée, réduite à une simple image, une surface à consommer. Cette scène, loin d’être seulement une manifestation d’horreur physique, est une dénonciation subtile et poignante : elle montre comment les corps des femmes, des célébrités, sont exploités financièrement, utilisés jusqu’à l’usure, jusqu’à ce qu’ils se brisent sous le poids des attentes. Cette violence corporelle, cette déformation imposée par le démon, fait écho aux pressions invisibles qui régissent notre société. Dans un monde où les normes esthétiques sont tyranniques, où les chirurgies se multiplient pour modeler les corps selon des standards impossibles, Smile 2 devient une critique puissante de ces violences modernes.

Copyright Paramount Home Entertainment (Germany) GmbH

On ne peut ignorer la manière dont Parker Finn utilise la caméra pour intensifier cette sensation d’horreur corporelle omniprésente. Chaque plan, chaque mouvement semble conçu pour souligner que le corps de Skye est en permanence sous surveillance, exposé, vulnérable. Entre les plans en drone qui s’approchent des fenêtres de son appartement, les téléphones constamment braqués sur elle, et les segments TV où elle est toujours le sujet, la caméra devient l’œil du public et du système, un rappel constant que Skye n’est pas seulement une personne, mais une star, une icône dont le corps ne lui appartient plus entièrement. Cette idée est magnifiquement amplifiée dans la scène où elle doit affronter son public lors d’un événement caritatif. Sur scène, devant une foule attendant d’elle un discours parfait, la pression se fait écrasante. Sa vision se trouble, son esprit vacille. Dans la masse des visages, elle aperçoit son petit ami décédé, un sourire tordu et grotesque figé sur ses lèvres, comme une provocation macabre. Cet instant, où la réalité se distord, révèle à quel point le corps et l’esprit de Skye sont submergés. Incapable de supporter cette tension, poussée à bout par une terreur psychologique qui ne connaît pas de répit, elle finit par attaquer violemment une personne innocente, persuadée d’être en présence du démon qui la hante. Cette scène, d’une intensité dramatique saisissante, illustre parfaitement comment l’effondrement psychologique de Skye est indissociable de la pression constante qui pèse sur elle.

Smile 2 est un miroir de notre époque, où les corps, les sourires, les âmes sont consumés pour nourrir une machine insatiable. La célébrité y devient une prison, un espace de surveillance constante où l’on perd le contrôle de soi. Le sourire de Skye, imposé par l’industrie, par sa mère, par ses fans, n’est plus un geste libre mais un masque, une arme de domination. Finn raconte la lutte pour le contrôle du corps, où la possession, qu’elle soit surnaturelle ou sociale, devient l’ultime forme d’oppression.

Smile 2 de Parker Finn, 2h12, avec Naomi Scott, Rosemarie DeWitt, Lukas Gage – Au cinéma le 16 octobre 2024

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