Alors que la troisième saison de Slow Horses vient d’arriver sur Apple TV, revenons ensemble sur cette fantastique série d’espionnage. Composée de dix-huit épisodes répartis en trois salves de six, elle raconte l’histoire d’une bande d’espions britanniques appartenant au MI5. Ici, pas de James Bond à l’horizon, mais plutôt les « veaux », c’est-à-dire les ratés du célèbre service d’espionnage. Tous les protagonistes font partie de ce service, nommé « l’établi », qui regroupe les indésirables et est dirigé d’une main de fer par l’intraitable Jackson Lamb. Cette série d’espionnage a connu un succès notable, confirmé par son renouvellement pour une cinquième saison. Ce succès est dû en grande partie à la force de ses personnages. Cette équipe, en théorie constituée de bras cassés, est terriblement attachante, précisément parce qu’elle est faillible. Fini les espions traversant les courses-poursuites et les explosions sans égratignures. Ici, les personnages sont mortels, et le scénariste en chef de la série, Will Smith (un homonyme, je vous rassure), ne manque pas de le rappeler. S’ils se retrouvent tout en bas de l’échelle, c’est en raison d’une pression excessive, de diverses addictions, ou simplement parce qu’ils sont trop « éthiques ». Ce sont ces prétendues faiblesses qui confèrent à la série sa grande force ; on s’attache davantage aux personnages qu’aux supposées intrigues et conspirations. Leurs relations et évolutions sont largement mises en avant au travers de séquences de discussions, bien plus nombreuses que les affrontements, qui mettent en lumière leurs failles et, par conséquent, leur intérêt.
En évoquant le succès des personnages, il convient également de mentionner les antagonistes. Toutes les séries d’espionnage modernes gagnent en intérêt grâce à leurs méchants, qui reflètent l’évolution d’une géopolitique en perpétuel mouvement. Lorsque vous regardez 24 Heures Chrono, vous pouvez observer les craintes de l’Amérique se métamorphoser. Les ennemis passent de talibans sans scrupules à des Chinois opérant sur le territoire américain. Il en va de même pour Le Bureau des Légendes, qui commence par des affrontements contre Daesh avant de se prolonger du côté de l’Ukraine et de la Russie de Poutine. Les antagonistes de ces séries révèlent quelque chose sur l’état du pays qui les produit. Et c’est une fois encore le cas ici. Dans sa première saison, Slow Horses dépeint une extrême droite britannique qui brouille les pistes pour attiser la haine, tandis que la deuxième saison montre un pays qui a du mal à assumer son passé. La troisième saison prolonge cette idée en opposant politiques, agents du MI5 et lanceurs d’alerte britanniques. Tous sont dans le même camp, et pourtant, les balles pleuvent, un triste constat de frontières définitivement brouillées.
La dynamique de la série repose sur un affrontement constant entre deux visions de l’espionnage. La première, héritée de John le Carré bien sûr, est incarnée par Jackson Lamb (interprété par Gary Oldman), tandis que la seconde constitue une critique du monde de l’entreprise moderne. Lamb est mis à l’écart de la société, se bat avec des Pringles et des allumettes (une scène fantastique), tandis que ses adversaires bénéficient de l’appui de sociétés privées, de fonds d’investissement et de politiciens corrompus. Les agents de Lamb sont souvent blessés, couverts d’ordures malodorantes et habillés de façon ordinaire, tandis que leurs adversaires portent des costumes trois-pièces et vivent dans de hautes tours en verre. Ces visions opposées, en se heurtant, donnent lieu à la fois aux scènes les plus hilarantes (je pense à ces nombreuses séquences où Lamb doit parler avec sa supérieure) et aux plus mélancoliques. Je pense ici aux fins de saisons, où malgré les victoires, les héros prennent conscience de la triste réalité que leur métier leur impose. Cette étrange dichotomie coexiste à l’écran avec succès et symbolise plus que jamais un Royaume-Uni divisé.
Slow Horses, 5 saisons, 30 épisodes, 60 min, avec Chris Reilly, Gary Oldman, Jack Lowden – Sur AppleTV+