Avec cette adaptation d’une pièce de théâtre de Claudine Galea datant de 2003, le multi-hypéniste français Mathieu Amalric apporte une solide contribution à sa carrière éclectique de réalisateur. Avec Vicky Krieps dans le rôle d’une mère qui a peut-être ou non abandonné sa famille, c’est une sorte de tragédie, qui est parfois presque trop sombre pour être supportée. Mais il y a aussi des moments où Serre Moi Fort réussit quelque chose de tout à fait remarquable, en brouillant la ligne entre la réalité et l’imagination pour creuser au cœur du chagrin et de la perte d’une manière qui est aussi une affirmation de la vie. Écrivant seul pour la première fois en huit longs métrages, Amalric prouve qu’il peut livrer un scénario fascinant.
On ne peut nier qu’il s’agit d’un film exigeant, le genre de film que le public commence à traiter après avoir pris une bouffée d’air clair et froid dans la rue. Mais ceux qui ont un appétit pour les films d’art et d’essai exigeants devraient y répondre. Il y a même une touche de surnaturel dans Serre Moi Fort, pas assez pour le commercialiser comme un film de genre, mais juste assez pour susciter des échos au film Les Autres. Les mélomanes seront également attirés par une partition classique dirigée par un piano, composée d’œuvres de Rameau, Bach, Chopin, Ravel, Schoenberg et d’autres compositeurs. Il faut un certain temps pour comprendre ce qui se passe exactement dans Serre Moi Fort, et quand la révélation arrive enfin, elle dit quelque chose de très profond sur la façon dont les êtres humains gèrent la perte. Tout ce que l’on peut divulguer sans gâcher l’effet est que le film semble parler de Clarisse (Krieps), une jeune mère qui, un jour, quitte tout simplement sa famille, composée de son mari Marc (joué par l’acteur belge Arieh Worthalter, l’amoureux dans l’étonnant A coeur battant), de sa fille aînée Lucie et de son fils cadet Paul. Elle prend la deuxième voiture de la famille, une AMC Pacer vintage, connue aux États-Unis sous le nom de “Flying Fishbowl” en raison de sa remarquable surface vitrée de 37 %, et s’arrête brièvement dans une station-service, où elle annonce à une amie qu’elle se rend au bord de la mer pour un moment.
Dès le début du road trip de Clarisse, on se rend compte qu’elle n’est pas bien dans sa peau. Elle boit, plonge son visage dans la glace d’un étal de poissons sur un marché et, à un moment donné, déboutonne la chemise d’un flûtiste qu’elle vient de rencontrer pour caresser son tapis de poitrine. Entrecoupées par ses méandres, des scènes de la famille qui se débrouille chez elle, dans une ville du piémont pyrénéen. Marc invente des histoires pour expliquer l’absence de maman aux enfants, tandis que Lucie se consacre à sa pratique du piano. Au fil des ans, et sans aucun signe de Clarisse, elle devient une pianiste classique talentueuse qui, vers l’âge de 15 ans, décide de s’inspirer de la légende vivante du piano, Martha Argerich, en se teignant les cheveux en gris argenté. Lorsque le film est terminé, chacun peut, s’il le souhaite, en recomposer la logique. Mais ce n’est pas ce qu’il aura vécu pendant l’expérience de la projection, et qui est beaucoup plus vaste, beaucoup plus riche. Et le fait de pouvoir maintenant identifier le ressort ne changera rien à l’intensité de ce qui pourra être revécu, si nécessaire, en le revoyant. C’est la marque même des vrais films.
Filmé avec une grande intimité et habilement monté de manière à répondre aux points de vue superposés des personnages, Serre Moi Fort est un exercice éblouissant qui exige une certaine résilience, en particulier dans les vingt dernières minutes, lorsque des notes de deuil et élégiaques prédominent sur la verve imaginative fervente de la longue section centrale du film. En fin de compte, il n’est pas sans rappeler l’un des morceaux de musique les plus difficiles et les plus piquants joués par Lucie au cours du film : un blues à douze mesures interprété selon la technique atonal de Schoenberg.
⭐⭐⭐⭐
Note : 4 sur 5.Serre Moi Fort au cinéma le 8 septembre 2021.