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[CRITIQUE] Road House – Tout refaire pour rien

Il n’est guère étonnant qu’une nouvelle adaptation de Road House ait vu le jour. Une part de moi, sensible aux plaisanteries de Rowdy Herrington (scénariste du long-métrage original et de Piège en eaux troubles), s’élève en protestation, mais l’original de 1989, malgré son succès au box-office, a été dès le départ qualifié de film calamiteux. Il est audacieux, pour ne pas dire téméraire, de revisiter un classique mal compris plutôt que de surfer sur la vague nostalgique des années 80. Si le réalisateur Doug Liman a entrepris cette nouvelle version avec sérieux, il mérite l’admiration. On peut également saluer l’originalité de ne pas reproduire servilement l’attitude impassible de Patrick Swayze ; Jake Gyllenhaal incarne à sa manière ce personnage oscillant entre le condamné à mort, le dur à cuire et l’homme mélancolique rongé par les regrets.

Le remake de Road House se déroule principalement au sein du Road House, établissement fictif situé dans une ville imaginaire de Floride nommée Glass Key. Sous la direction de Frankie (interprétée par Jessica Williams) suite au décès de son oncle, le Road House évoque l’image d’un bar-restaurant animé, où des groupes en live se succèdent derrière une clôture en treillis, accueillant une clientèle aussi hétéroclite qu’indiscernable. Frankie décide de solliciter la protection des motards turbulents qui prennent plaisir à saccager l’établissement chaque nuit. Elle place ainsi ses espoirs en Dalton (Gyllenhaal), ancien combattant de l’UFC au passé énigmatique. Si le mystère aurait pu opérer en 1989, avant l’avènement d’Internet, aujourd’hui les spectateurs, avides de découvrir les talents singuliers de Dalton, peuvent facilement accéder à des vidéos compromettantes sur YouTube, révélant un épisode infâme de sa carrière ayant laissé un adversaire dans un état critique.

Copyright Laura Radford/Prime Video

Comme susmentionné, le personnage de Dalton peine à convaincre. Attiré par le chèque hebdomadaire de cinq mille dollars, on peine à discerner d’où il puise sa motivation intrinsèque pour enseigner l’art du combat. À l’inverse, le Dalton campé par Swayze paraissait crédible lorsqu’il respectait les codes du service clientèle et démontrait des compétences en gestion. Tandis que les deux hommes résistent à la tentation de recourir à la violence en adoptant une attitude calme et détachée, l’appréhension feinte de Gyllenhaal semble totalement artificielle. Peut-être est-ce une question d’âge, mais la représentation des compétences organisationnelles de Swayze exerçait un charme irrésistible dans un film qui aurait autrement pu sombrer dans la brutalité. La maîtrise de Herrington dans la mise en scène évoquait le calme et la maîtrise constante de Swayze tout au long du film. Liman, lui, opte pour l’action à outrance, perdant en crédibilité lorsque les scènes deviennent chaotiques (ironiquement, les pires moments sont ceux impliquant des bateaux).

Cependant, il convient de souligner que le point culminant du film survient vers la cinquante-quatrième minute, lorsque Conor McGregor fait son entrée, déambulant nu à travers un marché, volant un costume à un passant avant de mettre le marché en feu. McGregor n’incarne pas le principal antagoniste – ces rôles sont probablement dévolus à Billy Magnussen et Joaquim de Almeida, acteurs aux postes plus élevés dans l’organigramme de la pègre de Glass Key. Néanmoins, McGregor incarne un méchant à l’aura menaçante. Si le casting de cascadeurs peut parfois décevoir, on est sincèrement étonné que l’on n’ait pas donné plus d’opportunités à cet homme de jouer auparavant.

Copyright Laura Radford/Prime Video

Malgré les lacunes narratives, le tumulte orchestré par McGregor reste l’un des rares éléments de cohérence dans le film. Dans son premier rôle au cinéma, sous les traits de Knox (dont le nom tatoué trois fois sur son estomac ne laisse aucun doute), la tentation de critiquer ses talents d’acteur pourrait être grande. Cependant, nous soutenons que McGregor ne se livre probablement pas à une interprétation conventionnelle. Il incarne avec une maestria incontestable son personnage, captivant instantanément notre attention à chacune de ses apparitions. McGregor instaure une présence intimidante évoquant celle de Bolo Yeung dans Bloodsport, légitimant pleinement son rôle d’homme sans scrupules.

Malheureusement, pour atteindre les moments de gloire tels que celui où Knox écrase une voiture contre un arbre pour la garer, il faut d’abord traverser les autres séquences qui composent Road House. Des visages familiers comme Lukas Gage et Darren Barnet se contentent de répliques fades, tandis que des personnages, telle que le médecin urgentiste incarné par Daniela Melchor, semblent relégués au second plan. Si une partie du film est dédiée à l’action, avec des combats et des cascades spectaculaires, elle est malheureusement éclipsée par le manque de profondeur qui sous-tend toutes ces extravagances. Si l’on pourrait aisément imaginer Jason Statham dans le rôle du protagoniste, le choix de Gyllenhaal, bien que vanté pour sa profondeur supposée par rapport à celui de The Beekeeper, peine à convaincre. Tandis que l’un semble se complaire simplement dans la comédie, l’autre semble en être parfaitement conscient.

Road House de Doug Liman, 1h54, avec Jake Gyllenhaal, Conor McGregor, Daniela Melchior – Sur Prime Vidéo le 21 mars 2024