Pourquoi, de nos jours, les maisons de production hollywoodiennes ne s’engagent-elles pas davantage dans la création de longs-métrages à l’instar de Promising Young Woman d’Emerald Fennell ? Il s’agit de l’œuvre cinématographique susceptible de ravir un large éventail de spectateurs, du simple amateur de cinéma aux cinéphiles les plus avertis. Elle revêt une pertinence particulière en ce qu’elle véhicule un propos percutant. Ce film audacieux et novateur, que l’industrie cinématographique américaine réclame ardemment, incarne une fusion harmonieuse de l’émotion forte, de la quête de rétribution, et de l’humour noir. Tout cela est enveloppé dans une écrin digne d’une poupée Barbie, créant ainsi un produit cinématographique véritablement captivant. Le long-métrage se démarque par son caractère mordant, brave et ambitieux, et il est parmi les plus prometteurs de l’année à venir.
Le récit se penche sur l’histoire de Cassie (interprétée par Carey Mulligan), une ancienne étudiante en médecine qui a laissé de côté ses ambitions. Elle évolue désormais dans le monde de la restauration, travaillant aux côtés de Gail (Laverne Cox) et partageant la vie avec ses parents perplexes, incarnés par Jennifer Coolidge et Clancy Brown. Le jour, Cassie arbore l’apparence d’une poupée Barbie, tandis que la nuit révèle la Lana Turner en elle. Elle incarne également le rôle d’une prédatrice feignant d’être vulnérable, attirant les hommes comme des moutons menés à l’abattoir (interprétés par une variété d’acteurs dont Adam Brody, Sam Richardson, et Christopher Mintz-Plasse, pour n’en citer que quelques-uns).
L’ensemble de ces comportements semblent constituer une forme d’expérience sociologique pour Cassie, qui cherche peut-être à mettre en lumière l’état de la galanterie dans la société contemporaine. Est-elle en train d’administrer une leçon à un groupe de jeunes hommes appartenant à une fraternité pseudo-bohème ? Ou bien cache-t-elle un dessein encore plus ambitieux ? C’est un jeu dangereux qu’elle joue, une source d’intrigue qui la motive ardemment. Cependant, tout bascule lorsqu’elle renoue avec Ryan (Bo Burnham, réalisateur du film Dernière Année en 2019), son ancien camarade de médecine doté d’un cœur noble. Ce chirurgien pédiatrique aspire désormais à renouer avec son amour de jeunesse et pourrait bien offrir à Cassie une lueur d’espoir bienvenue. Pourquoi s’embarrasser d’hommes quand on peut s’entourer d’une armée de femmes ? Cette pensée m’a assailli lorsque le générique de fin a défilé à l’issue de l’œuvre visionnaire de Fennell. Le scénario astucieux et rusé de la scénariste et réalisatrice présente une fusion éclectique entre l’excitation et l’humour noir, tandis que Cassie se livre à un jeu d’échecs magistral, toujours anticipant les mouvements de son ou de ses adversaires.
Le récit de Fennell subvertit les notions conventionnelles d’embarras et de honte que les femmes ressentent après avoir été victimes d’agressions sexuelles. Au lieu de cela, il expose au spectateur comment Cassie transforme la douleur de son sombre passé en une forme de punition pour les jeunes hommes, les confrontant, bien que de manière non directement équivalente, à leurs propres tourments.
Certains pourraient prétendre que le changement de ton opéré par Promising Young Woman constitue un obstacle à la transmission de son message. Cependant, je défendrais vigoureusement le contraire. Ce film s’inscrit parfaitement dans le contexte du mouvement #MeToo, qui a pris une place cruciale dans les mouvements de justice sociale au cours de la dernière décennie, en éclairant l’ombre des agressions sexuelles non déclarées. Il est crucial de noter que seulement 11 % des agressions sexuelles commises à l’université sont rapportées par les victimes, un chiffre encore plus réduit lorsque l’on tient compte des minorités. De surcroît, uniquement 2 % de ces agressions sont signalées lorsqu’elles impliquent la consommation d’alcool ou de drogues, un chiffre qui se rapporte aux États-Unis, le cadre du film. Imaginez un instant ne pas recevoir l’aide nécessaire pour faire face à un trouble de stress post-traumatique et à l’anxiété. Les attaques de panique, la honte, les problèmes de maîtrise de la colère, l’irritabilité, la dépression et le suicide se profilent comme les séquelles du syndrome de stress post-traumatique. Le ton général du film parvient avec brio à refléter les hauts et les bas de cette condition mentale. Il va sans dire que le film repose en grande partie sur les épaules de Carey Mulligan, prête à prendre sa revanche après l’une des omissions les plus inexplicables et frustrantes des nominations aux Oscars de la décennie précédente, lorsque sa performance dans Wildlife : Une saison ardente en 2018 avait été ignorée. En fin de compte, elle offre l’une des interprétations les plus marquantes de l’année, qui laissera assurément une empreinte indélébile. Sa performance incarne un tour de force résilient qui repousse les frontières et suscitera assurément l’engagement et le malaise du public. Cassie est un personnage qui demeurera dans les annales, et on a du mal à imaginer une autre actrice que Mulligan pour l’incarner. De fait, Cassie rivaliserait avec fierté avec Harley Quinn, et l’on pourrait même avancer qu’il s’agit de son récit d’origine.
Promising Young Woman a été attendu avec impatience pendant près d’une année, et il est gratifiant de constater que cette attente s’est révélée être une vertu. Bien souvent, les films ne sont pas à la hauteur des attentes suscitées par leur promotion, mais l’œuvre de Fennell s’érige en exception palpitante. Les films sont le reflet de leur époque, et je ne saurais m’empêcher de faire écho aux paroles d’Aaron Sorkin lorsqu’il déclare : « The things we do to women » (« Les choses que nous faisons subir aux femmes »). À cet égard, il surpasse de loin ses pairs. C’est un film courageux, novateur et audacieux, une comédie noire qui redéfinira incontestablement la décennie à venir dans le monde du cinéma.
Promising Young Woman d’Emerald Fennell, 1h48, avec Carey Mulligan, Bo Burnham, Alison Brie – Sorti le 26 mai 2021