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[CRITIQUE] Potato Dreams of America – Le coming-out d’une patate

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Par Louan Nivesse

Lorsqu’on évoque le cheminement vers l’âge adulte comme étant “engorgé”, la réplique adéquate devrait être “pour qui ?”. Si l’on peut concéder que chaque nouvelle année engendre une pléthore de récits dans ce domaine cinématographique, il convient également de reconnaître que ces films manquent souvent de la diversité qu’ils pourraient (et devraient probablement) arborer. L’expérience éducative ou adolescente de chacun étant singulière, de nombreuses histoires demeurent en attente d’être contées à travers le globe. Nous sommes encore loin de voir chaque individu se sentir justement représenté à l’écran. Heureusement, des projets tels que Potato Dreams of America démolissent ces barrières. Croyez-moi lorsque je vous affirme que vous n’avez jamais fait l’expérience d’une aventure initiatique telle que celle-ci.

Inspiré par la vie de Wes Hurley, le long-métrage s’amorce en Russie à la fin des années 80, au crépuscule de l’ère soviétique. C’est là que nous faisons la connaissance du double d’Hurley, l’étrange “Potato” (interprété par Hersh Powers), résidant avec sa mère, Lena (jouée par Sera Barbieri), médecin en milieu carcéral. Il affronte constamment les brutes de l’école en raison de son comportement efféminé, endure l’amour dur de sa grand-mère loquace, Tamara (incarnée par Lea DeLaria), et passe ses moments de liberté en dialogue avec un Jésus-Christ imaginaire (interprété par Jonathan Bennett). Il est peu dire que Potato regorge de péripéties. Outre ses conversations avec le Christ, le jeune homme passe son temps à fuir ses tourments en s’abandonnant aux films, particulièrement aux productions américaines. La citation initiale de Quentin Crisp, “J’ai toujours été américain dans mon cœur, depuis que ma mère m’a emmené au cinéma“, justifie l’adoration cinématographique comme un pilier fondamental de la personnalité de Potato. Cette passion contribue également à des changements majeurs dans sa propre vie et celle de sa mère. Lena, femme résiliente, se détourne des désolations de son quotidien professionnel pour puiser du réconfort dans les récits que Potato lui offre à travers l’écran, nourrissant l’espoir d’une vie meilleure pour tous deux, loin des frontières russes.

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Après avoir engagé une correspondance matrimoniale et attiré l’attention d’un prétendant américain, Potato (interprété par Tyler Bocock) et Lena (jouée par Marya Sea Kaminski) quittent la Russie pour s’établir à Seattle dans les années 90, sous l’autorité stricte et plutôt conservatrice de John (incarné par Dan Lauria). Dans ce pays libéré de nombreuses entraves auxquelles Potato était habitué, il peut enfin explorer sa sexualité sans entrave. Cependant, il craint que sa mère ne succombe aux préjugés ancestraux russes sur l’homosexualité, et il doit veiller à dissimuler sa “différence” à John. Atteindra-t-il jamais le “rêve américain” auquel il aspire depuis toujours ?

Les aspirants artistes entendent souvent le conseil “écrivez ce que vous connaissez”, bien que certains le jugent cliché. Pourtant, Potato Dreams of America offre une narration remarquablement ingénieuse et émouvante, qui semble émaner de l’âme mise à nu d’un scénariste façonnant son récit. Cette odyssée, bien que quelque peu excentrique, tire sa véritable force du fait qu’elle est une histoire que seul Hurley aurait pu raconter. Peuplée de personnages uniques et de rebondissements captivants, elle semble d’abord purement fictionnelle jusqu’à ce que l’on se souvienne de ses racines dans des événements authentiques. Hurley assemble cette mosaïque de souvenirs en une œuvre étonnamment émouvante, où chaque scène, en apparence peut-être insignifiante, revêt une importance cruciale dans le parcours de Potato, offrant ainsi une expérience finale remarquablement captivante.

Les thèmes de l’oppression russe et de la persécution des personnes LGBTQ+ ne sont peut-être pas explorés en profondeur comme certains pourraient le souhaiter, mais la présence de cette réalité insidieuse demeure palpable. Hurley utilise cette toile de fond de brutalité extérieure pour ajouter de la complexité à ses personnages, qui demeurent au cœur de son récit. Son talent réside dans sa capacité à extraire la signification des instants les plus ordinaires à travers des dialogues habiles, parvenant ainsi à équilibrer l’excentricité de son histoire avec une émotion sincère.

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Bien que l’intrigue centrale de Potato Dreams of America puisse sembler simple en surface, c’est la particularité de ces moments, qu’il s’agisse des interactions entre Potato et Lena, Potato et sa grand-mère Tamara, ou Potato et Jésus-Christ, qui garantit notre attachement à l’intime épopée narrée par Hurley, s’étalant sur une décennie. En ce qui concerne le casting talentueux qu’il a rassemblé, il est évident que ces acteurs représentent l’atout majeur de “Potato Dreams of America”.

Les expériences personnelles de Hurley peuvent être captivantes en elles-mêmes, mais sans des interprètes capables de s’harmoniser avec la tonalité du scénario, le film aurait pu s’effondrer. Heureusement, ce n’est pas le cas. Les deux incarnations de Potato, tant jeune (Powers) que plus âgée (Bocock), dépeignent avec brio sa personnalité à différentes étapes de sa vie. Powers met en avant l’innocence attachante de son enfance, tandis que Bocock incarne avec justesse la panique persistante face à la découverte de sa “différence” sexuelle à l’adolescence. Leur interprétation se complète harmonieusement, contribuant ainsi à rendre l’évolution du personnage de Potato particulièrement émouvante tout au long du film.

De même, chaque acteur est entouré de partenaires exceptionnels, et aucun d’entre eux ne faiblit. Parmi les deux incarnations de Lena, Kaminski se distingue davantage en raison de sa présence prolongée à l’écran et de la profondeur de son récit américain, transmettant avec charme de l’esprit et de la chaleur dans la seconde moitié du film. Néanmoins, Barbieri reste une figure attachante, son engagement captivant envers Potato lui conférant un rôle de leader indéniable.

La grand-mère Tamara est dotée de quelques-unes des répliques les plus mémorables, qu’elle livre avec une malice délicieuse, tandis que le personnage de Jésus-Christ, joué par Bennett, apporte une touche d’absurdité amusante à l’ensemble (et son lien avec Potato évoque la relation de Jojo Rabbit).

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Enfin, bien que le personnage de John, interprété par Lauria, puisse initialement sembler être un stéréotype de “beau-père strict”, son intrigue secondaire se révèle peut-être la plus émouvante de toutes. Lauria aborde les rebondissements de cette trame avec une sincérité frappante.

Vous avez peut-être visionné d’innombrables films sur le passage à l’âge adulte ces dernières années, mais vous n’avez jamais assisté à celui d’un jeune Russe homosexuel, passionné de cinéma américain et de Jésus-Christ, émigrant aux États-Unis avec sa mère, unie par correspondance, dans l’espoir d’une vie meilleure. Potato Dreams of America est là pour combler cette lacune cinématographique. Il reste à déterminer si cette aventure atypique s’adresse à tous les publics, mais quoi qu’il en soit, regarder le film en vaut la peine simplement pour apprécier la sensibilité narrative astucieusement absurde et tendre du scénariste-réalisateur Wes Hurley, un artiste doté d’une originalité incomparable.

Potato Dreams of America de Wes Hurley, 1h39, avec Marya Sea Kaminski, Dan Lauria, Sera Barbieri – En VOD le 16 mars 2023

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