Que feriez-vous si, à l’adolescence, vous tombiez sur vos harceleurs en train de se faire enlever par un probable tueur en série ? C’est le postulat central de Piggy (écrit et réalisé par Carlota Pereda) et c’est un excellent point d’accroche pour deux raisons : il place un type de protagoniste inhabituel au premier plan du récit, en l’occurrence Sara, une personne de forte corpulence (Laura Galán, qui joue un rôle remarquable en vendant les aspects d’humiliation ainsi qu’un processus de pensée de plus en plus conflictuel et douteux, mais profondément empathique), un personnage qui occupe rarement le devant de la scène dans les films, ce qui oblige le public à adopter une position inconfortable et gratifiante quant à savoir qui vit et qui meurt.
Vers la fin du film, au cours de l’une des nombreuses scènes chargées d’émotion de Laura Galán (rien de Piggy, le surnom cruel de l’héroïne qui lui est donné à plusieurs reprises par des harceleuses, ne serait efficace sans sa présence en tant que véritable fille ronde, l’audace et la bravoure de sa performance et ses expressions faciales complexes qui racontent cet arc de caractère troublant), elle craque en s’exclamant qu' »elle ne fait jamais rien de bien« . À ce moment-là, on a la sensation douce-amère que c’est une bonne chose qu’elle reconnaisse les erreurs qu’elle commet en cours de route comme un acte de vengeance passif, et aussi une tristesse de penser que si tout le monde autour d’elle la traitait avec une once de gentillesse de plus, elle ne serait pas dans cette position. C’est une réplique mémorable qui résume tout ce que ce personnage semble vivre, alors que les choses se précipitent vers une prise de décision pleine de suspense.
Lorsqu’elle n’est pas harcelée sans relâche à cause de son corps, Sara est soit avec sa famille, soit cachée quelque part. En secret, les harceleuses appellent toute la famille « les trois petits cochons », sauf le père de Sara (Julián Valcárcel) qui semble à l’aise avec sa corpulence, assis torse nu à la table du dîner. C’est une juxtaposition intrigante par rapport à Sara, qui se regarde de temps en temps à travers des miroirs coupant le visage sous la nuque (filmé par Rita Noriega, chaque image évoque les thèmes du film), comme s’il était légitimement douloureux de voir son corps entier. Cependant, les parents ne font rien pour aider leur fille ou lui donner du pouvoir, le père ne se soucie que de la voir aller lui chercher une autre bière, et la mère (Carmen Machi) se livre à la même rhétorique blessante mais est à double tranchant, défendant sa fille devant les autres.
Ignorant que ses harceleuses se trouvent près de la piscine publique, Sara subit d’abord des moqueries sur son apparence en maillot de bain, qui se transforment rapidement en quelque chose de plus sombre avec une tentative de noyade. Bien sûr, il y a aussi l’indispensable camarade consciente que ce qui se passe est mal, mais trop lâche pour s’opposer à son méchant groupe d’amies. Après cet échec, les filles s’enfuient avec les affaires de Sara, s’assurant que cette dernière doive rentrer chez elle à moitié nue. Au cours de cette promenade déshumanisante et embarrassante, Sara tombe sur un cadavre, et un homme intimidant (Richard Holmes), spectateur à la piscine, les enlève.
Sans dire un mot, l’étranger convainc facilement Sara de détourner le regard et de ne rien dire, ce qui entraîne une enquête de la police civile et la création d’un tissu de mensonges. Alors que Sara sort discrètement la nuit pour récupérer son téléphone, elle rencontre à nouveau l’homme, cette fois-ci avec une dynamique qui prend un tournant tacite vers une attirance sexuelle mutuelle (en rentrant chez elle, Sara se masturbe). Toutes ces relations complexes entre les personnages aboutissent à une conclusion palpitante, imprégnée de torture sadique et décorée de sang. Piggy prend un certain temps pour y parvenir, avec un deuxième acte un peu fastidieux (l’enquête policière n’est pas particulièrement intéressante, pas plus que les mères des enfants disparus), mais reste concentré sur l’état d’esprit de Sara.
Laura Galán donne à Piggy la dose d’authenticité nécessaire pour fonctionner, excellant également dans le carnage final. Et Piggy ne se prive pas du gore tout en veillant à ce que cette brutalité ait un impact narratif.
⭐⭐⭐
Note : 3 sur 5.Piggy au cinéma le 2 novembre 2022.