
Avec Oranges sanguines, le réalisateur Jean-Christophe Meurisse fait suite à sa comédie Apnee de 2016 avec quelque chose d’un peu plus inconfortable dans ses observations droites de la France contemporaine. Techniquement, il s’agit d’une comédie sociale qui prend un virage vers l’horreur. L’étrange enchevêtrement de personnages, de scénarios et d’éléments conceptuels fait de Meurisse, peut-être plus connu pour son travail au théâtre, le prochain cinéaste français à succès. Le film suit un groupe de personnes dont les vies se croisent autour d’un concours de danse rock. L’histoire va bien au-delà, mais il est préférable de ne pas en dévoiler les surprises. C’est un film conçu pour choquer intentionnellement, et il laissera indéniablement certains spectateurs dégoûtés (pour le meilleur ou pour le pire), mais c’est certainement un film très stimulant, pour le moins. Meurisse adapte le ton, passant de l’absurdité ludique à la sauvagerie absurde. Oranges sanguines garde l’apparence d’une sombre satire sociale, cependant, le film s’inspire fortement de la réalité et le degré de plausibilité sape la notion d’hyperbole dans le processus. Meurisse a déclaré qu’un cas aux États-Unis, où une jeune fille s’est vengée d’avoir été abusée en faisant manger ses testicules à son violeur, a inspiré le scénario.

Effectivement, t’en est un.
Il faut beaucoup de temps pour que le film se mette en route, car toutes les pièces doivent se mettre en place, mais une fois que c’est fait, vers une heure, le film est absolument captivant. La plupart des spectateurs trouveront les moments les plus crus du dernier acte difficiles à avaler, d’autres rigoleront à n’en plus respirer, mais c’est clairement le but recherché par Meurisse en les présentant. Meurisse et ses partenaires scénaristes, Amélie Phillipe et Yohann Gloaguen, plantent le décor des quatre intrigues en étirant l’exposition à l’extrême et en en tirant du jus comique. Un examen gynécologique maladroit lance l’intrigue de l’adolescente, une scène qui se rapproche davantage de l’effort précédent de Meurisse. Une coupure soudaine et nette fait basculer la comédie de la honte vers la noirceur, le choc et le cynisme. Oranges sanguines devient une satire noire et sans concession. Le film exploite le choc de la violence, laissant peu de place à l’imagination. Le film comporte des commentaires politiques sur la corruption, et c’est intéressant, mais ils sont relégués au second plan par rapport aux deux autres intrigues plus choquantes. L’une, sur la façon dont l’économie exploite la classe moyenne, est étonnamment triste, et l’autre, sur les agressions sexuelles, est brutale. Le point fort du casting est Lilith Grasmug, qui offre une performance absolument énergique et furieuse. Elle domine l’écran, en particulier dans le dernier acte, qui était sans doute la partie la plus difficile de son rôle. Les autres acteurs, dont Olivier Saladin, Lorella Cravotta et Alexandre Steiger, sont tous bons, mais c’est surtout Grasmug qui est à l’honneur. De plus, s’inspirant de l’histoire d’une victime torturant son agresseur, Meurisse a conçu des rebondissements d’une ironie cosmique perverse, bouleversant l’injustice dont les personnages ont été victimes. La réaction en chaîne ne laisse aucun gagnant derrière elle, chaque personnage en ressort endommagé (physiquement, moralement ou émotionnellement) dans un cercle maudit de transgressions. Meurisse emmène le Nouveau Burlesque Français vers un endroit sombre avec le traitement Grand Guignol.

Nourrir la bête avant qu’elle ne devienne Affamés.
Comme toute œuvre d’art, la réaction à tout type de film est subjective. Bien que Meurisse mette un point d’honneur à faire un clin d’œil à la caméra à la fin, laissant entendre que nous venons de prendre part à une sorte de plaisanterie de potence, la vérité de son film est si inquiétante qu’il est difficile de ressentir un quelconque sentiment de joie à son achèvement. Même si Meurisse nous offre un dernier châtiment avant le générique, le scénario a tellement bien réussi à nous prendre aux tripes qu’il n’y a pas de comédie, seulement de la noirceur. Nous ne sommes tous que des oranges sanguinolentes, après tout, douces et charnues à l’extérieur, rouges à l’intérieur. Nous ne devrions pas nous consoler de la violence faite à ceux qui la méritent, pas plus qu’à ceux qui sont innocents. C’est peut-être la raison pour laquelle je ne peux pas m’empêcher de repasser des séquences dans mon esprit comme des pensées intrusives ou d’arrêter la terreur persistante, peu importe combien nous aimerions nous concentrer sur la bonté du monde, trop de choses sont hors de nos mains et c’est dans celles de l’égoïste et du violent que la seule solution pour trouver nos héros est de réagir en conséquence. Quelle sombre et terrible conclusion à tirer.
⭐⭐⭐⭐⭐
Note : 5 sur 5.Oranges sanguines au cinéma le 17 novembre 2021.