[CRITIQUE] Nos Soleils – Simón pêche par sa lourdeur

Dès la première image de Nos Soleils, Carla Simón alerte le spectateur sur la nature même du paysage catalan estival de son film. Dans ces champs balayés par le vent et ces buttes difformes réside la famille Solé, de modestes cultivateurs de pêches – en partie inspirés de la propre famille de la réalisatrice – et joués par un casting solide de non-professionnels. Dans l’œuvre de Simón, le point de vue de l’enfance se mêle souvent au réalisme, et le contexte toujours présent des lendemains de la guerre civile espagnole lui confère une subtile historicité. Nos Soleils s’articule autour de l’expulsion de la famille Solé de sa plantation de pêches, qui leur a été donnée en récompense par le riche clan Pinyol, après qu’ils aient offert leur protection pendant la guerre, ce genre de témoignages de gratitude, qui ne s’accompagnent d’aucun document officiel, est malheureusement archaïque à l’époque actuelle du film.

Le conflit, aussi bouleversant qu’il puisse paraître, est aussi quelque peu accessoire, encourageant le spectateur à suivre le va-et-vient des relations de cette famille élargie plutôt que d’anticiper leur ultime bouleversement. La modernité est annoncée par un tracteur-grue monstrueux et gênant dans les premiers plans – interrompant le jeu des plus jeunes enfants – mais le travail doit continuer, malgré l’industrialisation croissante et la menace de déposition. Les responsables du changement offrent une alternative, et même si elle est lucrative, elle ne compense pas la perte d’un foyer intergénérationnel.

Le processus d’expulsion est lent, il n’ébranle pas la famille mais la guette. En attendant, Simón catalogue et classe les activités quotidiennes d’une exploitation de pêches entretenue par les différentes générations d’une même famille. La caméra de Daniel Cajítas part souvent du centre d’une permutation de l’ensemble, avant de s’attacher nonchalamment à une certaine partie, l’isolement latent enregistré par l’observation tranquille d’événements plus importants. Plus d’une fois, des adolescents, des enfants et des personnes âgées se dirigent vers les cultures, se tenant seuls au milieu de ce qui leur a été fourni pendant si longtemps et qui pourrait bientôt être repris.

© Pyramide Distribution

À certains égards, Nos Soleils ressemble aux L’Heure d’été d’Olivier Assayas, ou du moins à une transposition du prolétariat, notamment dans la scène de fête vers la fin, où l’attention est également répartie entre tous les participants. Les Solés vivent avec le souvenir même de ce qu’ils peuvent perdre, un développement plutôt poignant, qui fait que les scènes les plus détendues sont aussi les plus agréables et les plus significatives ; elles transmettent tout ce que les disputes verbales ne peuvent pas faire.

Cependant, les exigences du réalisme contemporain se heurtent au climat de nostalgie de Nos Soleils, plus patient, voire spirituel. Les rapports entre les membres de la famille sont tendus et chaleureux, de façon crédible, si bien que certains des efforts déployés par Simón pour délimiter la variété des points de vue sont malheureusement superflus, faisant des personnages de brèves caricatures, en particulier le beau-frère qui tente de s’insinuer dans la famille Pinyols. Les motivations narratives de la réalisatrice se superposent mal à celles des personnages, ce sont les moments où le film, qui se veut documentaire, apparaît comme insupportablement écrit. Mais il y a ensuite le plan final, une image d’une perfection sans cérémonie, et la lourdeur de la réalisation est, au moins dans une certaine mesure, justifiée.

Note : 3 sur 5.

Nos Soleils de Carla Simón, 2h, avec Jordi Pujol Dolcet, Anna Otín, Xenia Roset – Au cinéma le 18 janvier 2023.

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